Castres sans autoroute

c'est possible

collectif Autreroute


Le débat public à Lavaur (19/01/2010) : Quand le débat fait sa révolution.

Si la réunion d'Auriac était associée à la neige, au verglas, et aux congères, celle de Lavaur portait le sceau du crachin breton : une pluie fine et froide, un temps à ne pas mettre les opposants au projet autoroutier dehors, au risque de se faire enrhumer une fois de plus. Pourtant ils étaient là, fidèles au poste, à partager secrètement la profonde satisfaction de retrouver des visages connus et appréciés, et à voir que personne ne lâche, malgré les coups, malgré la fatigue, malgré l'absence de plus en plus marqué de perspectives pour ce débat public. Présente aussi, l'équipe castraise des partisans de l'autoroute, qu'on a pu voir sauter, fiers et décidés, de deux bus de Castres Voyages, comme investis d'une mission divine. C'était beau, on aurait dit notre Gérard Depardieu national en Christophe Colomb, foulant le sol de la terre nouvelle, sur la musique lancinante de Vangelis, alors que Ridley Scott filme au ralenti... Comment pourrions-nous interpréter une telle démonstration de force (somme toute relative, n'exagérons rien...), et surtout, à qui était-elle adressée? Aux opposants? À la présidente de la commission du débat, qu'un conseiller municipal de Castres avait encore violemment prise à partie dans les jours précédents? (voir article sur le site). Ou bien ce débarquement avait-il pour but d'impressionner le député-maire de Lavaur, dont on sait les liens de franche camaraderie, de communion d'esprit, mais aussi de saine rivalité qui l'unissent au maire de Castres? Allez savoir. Mais c'est vrai que les partisans de l'autoroute, eux, ne font pas de politique : un peu de bon-sens que diable!

            Il y a quelques semaines; le site Autreroute titrait : « Scandale à Bourg St Bernard ». Cet article saluait la demande, relayée par la CPDP, de lancer une étude complémentaire sur l'aménagement de la RN 126. Cette dernière pouvait apparaître comme révolutionnaire, en ce sens qu'elle bousculait complètement les données du débat. Elle offrait des perspectives formidables, puisqu'on allait enfin pouvoir comparer des projets clairement différenciés et aller au-delà de l'opposition artificiellement entretenue entre une autoroute payante « de suite », et une autoroute gratuite dans 60 ans. Las, la commission nationale a rejeté cette demande, et c'est en ce sens qu'on peut légitimement écrire que la débat a fait alors sa révolution, mais au sens astronomique du terme : à savoir que la décision injuste de la CNDP a remis le débat au point tendancieux où la DREAL l'avait placé au départ. Mais, plus que jamais, il faut continuer à porter nos arguments, à décrypter les modes de fonctionnement du lobby castrais en faveur de la LACT, bref, il y a toujours urgence à jouer les déchiffreurs du mythe de l'autoroute... Puisque le débat a fait sa révolution, il nous trouve, nous aussi, là où nous étions au départ. Sûr du bien-fondé de notre combat. Debout.
Alors, que garder de ce débat de Lavaur?

Passer, ou ne pas passer par Lavaur? Telle est la question.

            Est-il possible d'envisager un trajet alternatif pour un futur projet routier, comme l'a proposé l'Union Protection Nature et environnement du Tarn (UPNET) lors de ce débat public? Dès la première intervention, le ton est donné. Les partisans du projet présenté par la DREAL ont décidé de tirer à boulets rouges sur les défenseurs d'un itinéraire passant par Lavaur et Saint-Sulpice. Mieux même : dans leurs discours, on comprend que la critique des tenants de cet itinéraire (loin d'être majoritaires chez les opposants au projet autoroutier) a aussi pour but de discréditer toutes les solutions alternatives, et en premier lieu l'aménagement progressif de la RN 126. La ficelle était un peu grosse, mais bon, on peut toujours tenter.
            Ainsi, M. Biau, de Castres, explique qu'un tracé empruntant la vallée de l'Agoût présenterait trop d'obstacles (rivières à traverser, villages à contourner...) pour que sa réalisation puisse être sérieusement envisagée. Mme Pistre, elle aussi de Castres, attaque également cette proposition, car à l'école, on lui a toujours appris que « la ligne droite est la route la plus courte pour aller d'un point à un autre ». On remarquera que le trajet Castres-Verfeil, c'est 54 km par Puylaurens, et 55 km par Lavaur... Comme quoi, le bon-sens, et les souvenirs de la communale...
            Pour sa part, M. Coustenoble défend le passage par Lavaur, et invite à penser les avantages d'une connexion de ce nouvel itinéraire routier avec l'autoroute déjà existante au nord du Tarn. Il est suivi par le porte-parole de l'UPNET, collectif d'association qui, le matin même du débat, défendait sa position dans la Dépêche du Midi. Selon M. Courjault-Rade, il faut raisonner à l'échelle de l'aire métropolitaine de Toulouse, dont le schéma de développement Inter-Scot préconise de développer des pôles d'équilibre, dont celui de Lavaur-Saint Sulpice, afin de limiter au mieux les effets de sa croissance démographique. Il rappelle que dans cette charte Inter-Scot, la vallée du Girou est identifiée comme un territoire à vocation agricole et si l'autoroute Castres-Verfeil se fait, ce sera à l'encontre de ces objectifs. Enfin, un des derniers intervenants, conducteur de bus dans le Tarn, revient à la charge pour défendre l'intérêt d'un passage par Lavaur de la nouvelle route. Sa construction permettrait de faire disparaître du centre de cette ville les très nombreux camions qui la traversent quotidiennement. Avec un humour certain, il accuse Bernard Carayon, député-maire de cette ville et farouche partisan du projet d'autoroute concédée Castres-Verfeil, de n'être rien d'autre qu'un « nymbiste », puisque il serait d'autant plus partisan du projet d'autoroute qu'il n'aurait pas à en subir les nuisances à proximité de chez lui.
            On l'aura compris : partisans et opposants du projet mis en débat n'auront pas trouvé dans la proposition d'itinéraire alternatif la voie pour se mettre d'accord. Quoique... La solution, c'est peut-être le conseiller municipal de Castres, le bien-nommé Pierre Fabre qui l'a trouvée, dans sa violente charge contre Danièle Barrès, la présidente de la CPDP. En effet, il accuse ceux qui ont proposé l’itinéraire par Lavaur de vouloir purement et simplement « enterrer le projet ». Mais elle est là, l'idée de génie : enterrer l’autoroute, sous la forme d’un tunnel ! Bon, d'accord, les coûts risquent d'être augmentés de manière sensible, mais c'est la solution rêvée pour réunir tout le monde dans un vrai consensus. Les actionnaires d'Eurotunnel se seraient d'ailleurs déjà manifestés, et proposeraient (selon nos sources) aux futurs actionnaires du tunnel sous le Girou une offre publique d'échanges de leurs titres, à hauteur de deux titres Castres-Toulouse pour un titre Eurotunnel. Les investisseurs se bousculeraient déjà au portillon. Il n’y a pas que les poissons qui font des bulles.

Debout les morts!

            L'histoire et l'anthropologie nous apprennent que les sociétés se construisent en partie sur les rapports qu'ils entretiennent avec leurs disparus. À ce titre, les chercheurs du futur disposeront avec les verbatim des réunions de ce débat public d'une source précieuse. En effet, pas une réunion où les morts n'aient été convoqués par les partisans du projet, et Lavaur n'a, malheureusement, pas fait exception à cette règle. Claude Dayon, suppléante du député Philippe Folliot, place au cœur de son argumentation les trop nombreuses « silhouettes macabres » qui hantent le bord de la RN 126. Michel Mottes nous rejoue la scène désormais classique de l'élu qui doit aller, en pleine nuit, frapper à la porte d'une maison endormie pour annoncer la terrible nouvelle de la mort d'une jeune personne accidentée ... Mmes Pagès et Guiraud, de l'association « les routes de l'avenir », curieusement en accord sur tout, à la virgule près (elles lisent mots pour mots le même texte !), s'insurgent également contre le caractère terriblement accidentogène de la route actuelle. Bon, bien évidemment, comme le dit M. Deloche, on ne peut mesurer le coût humain d'un accident de la circulation, « parce qu’il est au-delà de toute mesure ». Par contre, il ajoute qu'« on peut sans doute en calculer les conséquences financières, et notamment le coût environnemental en kilo de CO2 ». On doit vous avouer qu'on n'a toujours pas compris le sens de cette phrase obscure, et étonnante. Faut-il entendre que M. Deloche, qui met en avant son inscription dans les problématiques écologiques et dans les objectifs de la loi Grenelle, envisagerait sérieusement d'établir le bilan carbone des morts sur la route (pour mieux les taxer?). Formidable ce débat...
            Que répondre à des gens qui viennent ainsi vous expliquer que rien ne vaut la vie, et que de ce fait l'ensemble des morts de la RN 126 exigent la construction de l'autoroute? Que si le projet se réalise, on pourrait leur remettre à titre posthume la distinction de « morts pour la route », comme d'autres sont, en leur temps, « morts pour la France »? Cette instrumentalisation de l'émotion, cette volonté d'accaparer des souffrances – réelles- à des fins de démonstration est tout bonnement insupportable. Qu'on se le dise une fois pour toutes : les morts, de la RN 126 comme d'ailleurs, n'appartiennent à personne.

            Pour sortir de l’émotion, notre seul recours est l’analyse et la réflexion, et on peut rappeler que le collectif RN 126 a fourni, sur le site du débat public, une étude d'accidentologie très poussée de la RN 126 et de la RD 42 (http://www.debatpublic- castrestoulouse.org/docs/contributions/associations/20100106-collectif-rn136.pdf). Les conclusions démontrent, entre autres, que ces itinéraires ne sont pas plus accidentogènes que les autres routes du Tarn, et que le facteur d'accident sur la RN 126 a été divisé par 4 depuis 10 ans. À notre connaissance, personne n'a encore réalisé d'étude à même de contredire ces constats.

Le Tarnais témoigne, il ne débat pas...

            Cet exemple du caractère supposé particulièrement accidentogène de la RN 126 est une parfaite illustration d'un malentendu, présent dès le début du débat, et loin de s'être dissipé. M. Étienne, journaliste indépendant, et descendu parmi les premiers du bus Castres-Voyages, a très bien éclairé ce décalage, lorsqu'il a affirmé : « De nombreux témoignages favorables au projet ont été rapportés au cours de ces réunions et il n’est pas dans mon propos de les reprendre. De même, les opposants ont fait valoir leurs arguments ». Témoignages, / arguments, tout est dit : les partisans du projet sont venus livrer leurs expériences, essentiellement douloureuses, ainsi que leurs désirs légitimes. Alors que les opposants ont argumenté (entendre « ergoté », « palabré » selon certains...). Et il n'est pas content, M. Étienne : parce que ces échanges verbaux ont eu un coût qu'il juge exorbitant, à savoir 1,3 million d'euros. Mais le coût de ces débats, c'est tout simplement celui de la démocratie. Anotre tour de reprendre l'un des arguments phares des partisans du projet : rien n'est gratuit! Or, les citoyens ont le droit de connaître les arguments des opposants, mais aussi de ceux qui soutiennent le projet. Alors, c'est sûr que plus d'un million d'euros, cela peut sembler cher payé si on en reste à des approches impressionnistes, qui peinent à s'appuyer sur des données objectives... Mais si cet argent a pu permettre de diffuser une autre musique que celle du « lipdub », alors, on se dit que cet argent, n'en déplaise à certains, aura été utilement employé.
            Le problème, c'est bien que dès le départ, de nombreux partisans du projet ont cru devoir se placer dans le champ de l'émotion, et ont donc rivalisé d'imagination pour tenter de nous toucher au plus profond de nous-mêmes. Quelles réactions Mme Garcès souhaitait-elle provoquer, en répétant, d'un ton grave qu'atténuait pourtant un sourire malicieux : « Castres est une île qui s'éloigne... »? (« La femme est une île, Fidji est son parfum », ça c’est nous qui l’ajoutons). Dans toute son intervention, on retrouvait en filigranes la rhétorique chère au maire de cette ville : Castres souffrirait essentiellement de sa taille moyenne, de son isolement, qui la soumettent à toutes les concurrences, forcément déloyales... Le thème d'un monde qui tiendrait à l'écart le bassin Castres-Mazamet, tant ressassé lors de ce débat, se révèle pour ce qu'il est : une mystification. Et arrêtons avec l’enclavement car, se raccrocher à ce même monde par un équipement obsolète : enclavement ; ne pas dépasser certaines barrières mentales, refuser les évolutions du monde et sa complexité : enclavement ; proposer un festival d’été castro-castrais, qui n’a pas vocation à rayonner (dixit le maire), et où les stars viennent directement des années 60, 70 et 80 (Florent Pagny, I Muvrini, Hugues Aufray) : enclacvement. Il y a effectivement une attente dans cette ville, celle de s’ouvrir, et de mettre en avant les formidables talents locaux.
(Remarque: Mme Garcès, toute à l’émotion de sa tirade, a omis de nous dire qu’elle est directrice de la communication de la mairie de Castres).
            Ce rejet de la discussion argumentée s'est, enfin, traduit par une essentialisation certaine du débat. « Le » tarnais existe : on nous avait déjà dit, lors de la première réunion publique de Castres, qu'il était par essence favorable au projet d'autoroute. L'intervention de M. Maraval, lui aussi responsable en communication, mais cette fois-ci à la communauté d'agglomération Castres- Mazamet, a permis d'affiner le portrait : le tarnais est aussi « affable et posé ». Ce qui n'a en rien empêché M. Maraval de prendre violemment à partie les membres de la CPDP, accusés, devinez quoi, de faire le jeu des opposants, en annonçant la diffusion, lors de la réunion de clôture du débat public à Verfeil, d'un petit film résumant les prises de parole lors des différents débats publics. Au passage, le tarnais doit aussi être un peu paranoïaque, puisque ce film n'avait toujours pas été monté, au moment où M. Maraval s'en plaignait amèrement.

L'usager contre le contribuable, encore et toujours.

            Une nouvelle explication de texte s'impose. Soit un argument phare des partisans de la LACT : d'accord, le péage va coûter cher, mais il faut bien que quelqu'un paie, alors autant que ce soit l'usager. On reconnaît ici le principe : « l'utilisateur doit être le payeur ». On nous l'a présenté sous tous les angles, cet élément en apparence imparable. Le magazine Vivre à Castres nous avait expliqué que la pauvre mamie castraise, sans véhicule, n'avait pas à payer pour le camionneur étranger qui allait emprunter l'autoroute. Lors de la réunion de Lavaur, ce sont deux jeunes visages qui sont venus nous marteler le même discours : Melle Mokhlisse, qui vient de terminer ses études, trouve évident que ce soit seulement celui qui utilise la route qui finance sa construction. Elle avance : « En termes d’équité, le principe d’utilisateur payeur est de loin préférable à celui où tous les contribuables participent au financement de l’infrastructure ». Alors que M. Orlandini, encore étudiant, trouve parfaitement normal d'envisager de payer un péage « exorbitant » (c'est lui qui le dit) pour utiliser l'autoroute, car penser ainsi, c'est pour lui défendre « l'intérêt général ». On ne peut, sur ce même thème, passer sous silence la remarquable intervention de M. Wodzinscki. Il commence par nous dire que, resté silencieux jusque-là, il se décide « enfin à parler ». Depuis le temps qu'on attendait ( !), on n'a pas été déçu. Il nous parle de sa maman, Ginette, et de son « bon-sens » légendaire. Elle a compris, Ginette, que l'État n'a plus d'argent et doit arrêter de jouer les paniers percés... Et puis qu'est-ce qu'on met dans le panier de l'État, si ce n'est nos propres sous? Alors, Ginette, elle se dit que ceux qui veulent prendre l'autoroute, ils pourront au moins mettre directement leurs petites pièces dans le bac à monnaie du péage, plutôt que dans le panier percé de l'État. Et puis, elle continue sa réflexion, Ginette, et elle se dit que le futur concessionnaire, lui aussi plein de bon-sens, ne demandera pas de subvention d'équilibre, car il sait que les collectivités territoriales n'ont malheureusement pas d'argent. Oui, oui, vous avez bien lu : les grands constructeurs d'autoroute, en prise avec le réel et plein de philanthropie, vont accepter de perdre plus de 100 millions d'euros... C'est le syndrome de l'Archipel : pour gérer l'eau sur la ville de Castres, la Lyonnaise des eaux avait en son temps « offert » cet équipement à la ville, avant de se payer sur la bête une fois le contrat signé. Oui, Ginette, tu peux continuer de rêver, le futur concessionnaire va offrir une voiture électrique à chaque famille castraise pour nous inviter à utiliser l'autoroute. Mais, en contrepartie, cette dernière sera concédée pour 600 ans, avec un péage en légère augmentation par rapport aux prévisions initiales... Le futur « comité de l'autoroute », à l'image de son prédécesseur pour l'eau, peut déjà se préparer à lancer les futures procédures judiciaires contre nos grands asphalteurs habituels...
            Mais revenons à la fausse opposition contribuable / usager. L'existence d'une subvention d'équilibre la rend, à elle seule, caduque. La mise en concession privée n'empêchera en rien le contribuable de payer. D'autant plus, comme le rappelle M. Algans, qu'il faut ajouter le « vol » des deux déviations de Soual et Puylaurens déjà financées. Ce qui l'amène à ce commentaire inspiré : l'autoroute, c'est du temps gagné pour les riches, et du temps perdu pour les pauvres, obligés de retraverser ces deux villages, alors qu'ils avaient participé par leurs impôts au financement de leur contournement! Il faut aller plus loin, et dire à nos farouches défenseurs de la solution concédée que si on applique le raisonnement à leur propre parcours, ils sont certainement les premiers à défendre les frais d'inscriptions non-subventionnés à l'université, la disparition des APL (après tout, l'usager étudiant ou locataire n'a qu'à payer, pourquoi bénéficierait-il de la solidarité par l'impôt?). Mais alors, M. Orlandini, adieu veau, vache cochon, et les vacances entre amis en automobiles. Parce que les vacances (les soirées et les week-end), vous pourrez les passer à travailler chez Mac Donald's, ou à livrer des pizzas, pour tenter de réunir les 25 000 euros nécessaires au paiement – pour une année – de votre formation. A moins que Papa et Maman ne casquent. Équité qu’ils disent.
            Oui, ce débat sur l'autoroute est politique : et oui, la gauche, plus largement, se doit de mener la réflexion sur une revalorisation de l'impôt. Rien n'est gratuit, tout à un coût, mais c'est la défense d'un coût partagé par le biais de la solidarité induite par l'impôt qui doit être à la base de notre réflexion. Au nom des Verts du Tarn, Guillaume Cros ne dit rien d'autre dans son intervention. Derrière la fausse opposition contribuable / usager, ce sont bien les questions de notre projet de société, de notre vision du vivre-ensemble qui se trouvent posées. « Un intellectuel assis va moins loin qu'une brute qui marche » disait Michel Audiard. Certes, mais il y a parfois du bon à rester assis quelques instants, pour réfléchir à tout ça.

Avec l'autoroute : tous gagnants dans le département?

            Claude Reilhes, maire de Maurens-Scopont, intervient pour exprimer son opposition au projet. Le fait d'être traversée par cet équipement  n'apportera rien à sa commune, qui a su attirer des entreprises sans autoroute, tout en maintenant sa dimension essentiellement agricole. Il signale que Maurens-Scopont est déjà traversée par le réseau de fibres optiques Castres-Toulouse, mais qu'elle n'y est pas raccordée : personne ne semble avoir pensé à le proposer, alors que les habitants et les entreprises n'ont pas tous accès au haut débit. Entre les lignes, on comprend que ce que M. Reilhes craint, c'est de voir les petites communes placées sur le trajet de l'autoroute exclues des concertations futures, si le projet venait à voir le jour. Il termine son intervention en disant bien qu'il est cependant prêt à discuter avec tout le monde. Ça tombe bien, Dolores Issa (CM Mazamet) veut aider les maires des communes traversées, à maîtriser l'étalement urbain qui naîtrait de la construction de l'autoroute. Il faut les accompagner, pour qu'ils restent vigilants dans l'établissement de leurs futurs plans locaux d'urbanisme. L'idée est simple : comme vous n'aurez pas les moyens d'accueillir ces nouvelles populations, il faudra les rediriger vers Castres, Mazamet, Revel, des villes qui pour leur part disposent des équipements et des services nécessaires... On ne sait pas trop quelles formes pourraient prendre cet accompagnement, mais on entend déjà l'accusation implicite : si vos communes « explosent » du fait de l'autoroute, c'est que vous n'aurez rien fait pour l'empêcher.
            On est là, finalement, au cœur de ce qui fut la vraie interrogation apparue lors de ce débat de Lavaur, même si elle est restée largement dans l'ombre, comme un tabou que personne n'oserait vraiment briser. Les partisans du projet mettent sans cesse en avant la communion (largement supposée) de tous les élus en faveur de l'autoroute. Mais tout le monde pourra-t-il bénéficier à la même hauteur des effets, éventuels, qu'on en attend? Ne va-t-on pas assister à un durcissement de la compétition entre les villes traversées par le trajet? Joseph Dalla-Riva, conseiller général et adjoint au maire de Lavaur, défend l'autoroute, car on se doit de donner leur chance à des communes comme Cuq-Toulza ou Puylaurens, de la même manière que Lavaur, Saint Sulpice ou Gaillac ont pu se développer grâce à l'autoroute qui traverse le nord du département... M. Dalla-Riva le pressent : la croissance démographique de ces communes, plus proches de la métropole toulousaine que Castres ou Mazamet, va être grande. Ça doit être cela, ce qu'il appelle leur donner leur chance. Et, bien évidemment, ces communes ne chercheront pas à retenir ces nouveaux habitants, mais feront tout pour les amener à Castres, comme les y invite Mme Issa. Rappelons que dans son dossier, la DREAL prévoit pour Castres un apport en population 12 fois supérieur aux nombres d'emplois créés. Et, d'après vous, ils vont travailler où, ces nouveaux Tarnais? Qui, au fond de la salle, vient de lancer, à tout hasard, Toulouse? Et qui ajoute que quitte à aller travailler à Toulouse, mieux vaut encore construire sa maison à Cuq-Toulza, puisque ça divise par deux le temps de trajet par rapport à Castres? Deux heures de colle pour les fortes têtes!
            Ces précisions étaient indispensables pour mieux percevoir les limites de la nouvelle approche développée par le Conseil Général du Tarn. C'est Pierre Verdier, maire de Couffouleux, qui prend la parole, au nom de Thierry Carcenac, pour défendre totalement le projet d'autoroute concédée. Bien sûr, il regrette qu'un projet sur fonds public n'ait pu voir le jour, mais comme il y a « urgence », le Conseil Général défend l'autoroute concédée. « T'approuves mais tu regrettes, c'est ton côté socialiste » chante au passage Bénabar. Mais M. Verdier, qui pour l'occasion semble s'être entouré des conseillers en communication de la mairie de Castres, a décidé de nous démontrer pourquoi cette autoroute s'inscrit parfaitement dans les perspectives de développement durable. Si on résume : grâce à l'autoroute, les entreprises vont s'installer à Castres. Donc, les gens ne se déplaceront plus trop loin pour aller travailler. L'objectif étant, je cite de « maintenir les populations sur place ». Un joli désir, mais on comprend mal comment M. Verdier peut passer outre les chiffres avancés par exemple par la Direction Générale de l'Équipement en 2002, au sein d'une vaste étude consacrée à la couronne péri-urbaine de l'agglomération toulousaine (http://www2.midipyrenees.equipement.gouv.fr/31/collectivite/politique_urbaine/7.pdf). Elle démontre clairement que les habitants de cette couronne péri-urbaine (à laquelle appartient Couffouleux) sont « fortement dépendants » du pôle urbain. À tel point que « deux actifs sur trois résidant dans le périurbain » travaillent sur Toulouse, et la proportion monte même à 80% pour les habitants les plus récents. Bien évidemment, la présence d'un axe autoroutier ne fait que confirmer et renforcer ces tendances. Conclusion logique, l'autoroute « développement-durable », c'est comme « l'éco-autoroute » : un beau produit de communication, mais qui ne résiste pas à l'épreuve des faits. Et qui rend les écologistes, les vrais, verts de colère.

Environnement

La transition est toute faite. En plus ça ira vite. L’environnement : on n’en parle pas. « A priori, ça n’intéresse personne de parler nature et petits oiseaux ». C’est M. Tirefort qui le dit, pour la première fois. On espère que « les pelouses sèches méditerranéennes » peuvent se développer dans la nuit de l’asphalte, parce que notre écologiste est remonté, et prêt à « s’opposer physiquement au projet, comme dans les années 70 ». Les années 70, toujours et encore…
La DREAL répond que l’étude d’impact aura lieu au moment de la réalisation du projet. Mais c’est le projet lui-même qui est un impact irrémédiable !


Roulements de tambours pour… les Prix !

Prix Karl Marx
Pour Jacques Barthès, PDG de Germiflor. Sa prise de conscience des absurdités du capitalisme mondialisé est admirable. Il constate qu’un chargement de 25 tonnes d'engrais coûte aussi cher à expédier à Reims qu'en Chine. Attention : s'il continue à trop réfléchir, il va finir écolo-gauchiste, laisser tomber les engrais organiques pour investir dans des fermes communautaires où l'on fertilise les sols avec des engrais verts comme le colza.

Prix Jean-Paul Sartre

Pour Sandrine Garcès, et son « Castres, c'est l'enfer ». Mais non, l'enfer, c'est les autres, les opposants qui ne veulent pas comprendre que ses amis toulousains et montalbanais ne veulent plus lui rendre visite à Castres parce que « Castres s'éloigne ». Bon, en tant qu'opposant, on veut bien assumer beaucoup de choses, les couples brisés, les emplois perdus, les amitiés évanouies du fait de l'absence d'autoroute... mais la tectonique des plaques, là, on s'excuse, c'est vraiment pas de notre faute.

Prix Rocky III

Pour M. Coustenoble. Il est énervé. Il n'admet pas que M. Grammont, représentant de la DREAL, ne veuille pas reconnaître le manque de sincérité du dossier qu'il défend. Bon, en même temps, on ne va pas lui demander de scier lui-même la branche sur laquelle il est assis. Alors que le débat se poursuit, M. Coustenoble se lève, se plante devant M. Grammont, et, les yeux dans les yeux, lui lance : « osez me dire que ce que je vous dis n'est pas la vérité ». Trouble certain devant ce remake du duel Stallone – Mister T, œil du tigre et Survivor, la totale. Ma voisine, néophyte, me demande : « il se passe toujours des trucs comme ça, dans les débats? ». Non, là on est dans l'inédit. Finalement, les choses se terminent bien, loin du règlement de compte à OK Corral un moment entrevu.

Prix François Mitterrand

Pour Philippe Grammont, pour la scène évoquée juste avant. Si, si, dans son duel avec M. Coustenoble, on a revu un instant le vieux sphinx répondant à Jacques Chirac, alors premier ministre, lors du débat télévisé de l'entre-deux-tours des présidentielles de 1988 : « les yeux dans les yeux, je vous le dis ». Rappelons que Chirac souhaitait alors le mettre en difficultés sur l'affaire des otages du Liban, et accusait Mitterrand, de manière plus ou moins implicite, de mensonge. Mitterrand dément. Mitterrand ment. Tout le monde le sait. Et pourtant, il remportera quelques jours plus tard les élections. Il faut dire que son « les yeux dans les yeux, je vous le dis » semblait un poil plus assuré que celui de M. Grammont. Un poil. Et attention, on n’a pas dit que la DREAL ment, même par omission.

Prix Play it again, Sam!

Pour l'association « Les routes de l'avenir ». On avait déjà remarqué que les partisans de l’autoroute utilisent souvent les mêmes phrases. Mais de là à lire le même texte, à l’identique, à 5 minutes d'intervalle… Deux possibilités : les cerveaux sont restés dans le bus (soutes bloquées), ou les pisse-copies sont fatigués. En tous cas c’était plus drôle que « l’ours blanc » ou « les Shadocks ». N’est pas humoriste qui veut.

Prix Marylou

Pour Melle Mokhlisse, qui nous a expliqué que la durée de ses trajets entre Castres et Toulouse variait « du simple au double ». Petit rappel des faits : on avait déjà eu le journaliste de M6 qui avait mis plus d’une heure trente pour faire le trajet, arrêt au bar-tabac de Cuq-Toulza « Chez Marylou » compris. Melle Mokhlisse doit parfois s'y arrêter à l'aller comme au retour, et remettre la tournée! Mais non, ce n'est pas la situation de la RN 126 qui double la durée du trajet Castres-Toulouse, mais les embouteillages au Mélou ou/et sur la rocade de Toulouse. Et elle y changera quoi, l'autoroute?

« Ginette de plomb »

Pour Alexandre Wodzinski. On ne peut dénier certaines qualités aux défenseurs du projet autoroutier. Alors lorsqu’un des grands penseurs de la promotion du projet s’exprime, vers la fin des débats, et après une longue attente, on espère du percutant. Et plouf ! Il nous fait le coup du bon sens et de sa maman Ginette qui gère bien son argent. Pas d’envolée théorique, d’argument évident susceptible d’emporter l’adhésion de tous et d’ébranler les convictions des plus farouches opposants. Encore un esprit brillant qui se fracasse sur l’asphalte noir de l’autoroute. Et on dit qu’une autoroute est moins accidentogène que la RN 126.


Ça va mieux en le disant. Vous ne trouvez pas ?

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