Si
la réunion d'Auriac était associée à la neige, au verglas, et aux
congères, celle de Lavaur portait le sceau du crachin breton : une
pluie fine et froide, un temps à ne pas mettre les opposants au projet
autoroutier dehors, au risque de se faire enrhumer une fois de plus.
Pourtant ils étaient là, fidèles au poste, à partager secrètement la
profonde satisfaction de retrouver des visages connus et appréciés, et
à voir que personne ne lâche, malgré les coups, malgré la fatigue,
malgré l'absence de plus en plus marqué de perspectives pour ce débat
public. Présente aussi, l'équipe castraise des partisans de
l'autoroute, qu'on a pu voir sauter, fiers et décidés, de deux bus de
Castres Voyages, comme investis d'une mission divine. C'était beau, on
aurait dit notre Gérard Depardieu national en Christophe Colomb,
foulant le sol de la terre nouvelle, sur la musique lancinante de
Vangelis, alors que Ridley Scott filme au ralenti... Comment
pourrions-nous interpréter une telle démonstration de force (somme
toute relative, n'exagérons rien...), et surtout, à qui était-elle
adressée? Aux opposants? À la présidente de la commission du débat,
qu'un conseiller municipal de Castres avait encore violemment prise à
partie dans les jours précédents? (voir article sur le site). Ou bien
ce débarquement avait-il pour but d'impressionner le député-maire de
Lavaur, dont on sait les liens de franche camaraderie, de communion
d'esprit, mais aussi de saine rivalité qui l'unissent au maire de
Castres? Allez savoir. Mais c'est vrai que les partisans de
l'autoroute, eux, ne font pas de politique : un peu de bon-sens que
diable!
Il y
a quelques semaines; le site Autreroute
titrait : « Scandale à Bourg St
Bernard ». Cet article saluait la demande, relayée par la CPDP, de
lancer une étude complémentaire sur l'aménagement de la RN 126. Cette
dernière pouvait apparaître comme révolutionnaire, en ce sens qu'elle
bousculait complètement les données du débat. Elle offrait des
perspectives formidables, puisqu'on allait enfin pouvoir comparer des
projets clairement différenciés et aller au-delà de l'opposition
artificiellement entretenue entre une autoroute payante « de suite »,
et une autoroute gratuite dans 60 ans. Las, la commission nationale a
rejeté cette demande, et c'est en ce sens qu'on peut légitimement
écrire que la débat a fait alors sa révolution, mais au sens
astronomique du terme : à savoir que la décision injuste de la CNDP a
remis le débat au point tendancieux où la DREAL l'avait placé au
départ. Mais, plus que jamais, il faut continuer à porter nos
arguments, à décrypter les modes de fonctionnement du lobby castrais en
faveur de la LACT, bref, il y a toujours urgence à jouer les
déchiffreurs du mythe de l'autoroute... Puisque le débat a fait sa
révolution, il nous trouve, nous aussi, là où nous étions au départ.
Sûr du bien-fondé de notre combat. Debout.
Alors, que garder de ce débat de Lavaur?
Est-il possible d'envisager un trajet alternatif pour un futur projet
routier, comme l'a proposé l'Union Protection Nature et environnement
du Tarn (UPNET) lors de ce débat public? Dès la première intervention,
le ton est donné. Les partisans du projet présenté par la DREAL ont
décidé de tirer à boulets rouges sur les défenseurs d'un itinéraire
passant par Lavaur et Saint-Sulpice. Mieux même : dans leurs discours,
on comprend que la critique des tenants de cet itinéraire (loin d'être
majoritaires chez les opposants au projet autoroutier) a aussi pour but
de discréditer toutes les solutions alternatives, et en premier lieu
l'aménagement progressif de la RN 126. La ficelle était un peu grosse,
mais bon, on peut toujours tenter.
Ainsi, M. Biau, de Castres, explique qu'un tracé empruntant la vallée
de l'Agoût présenterait trop d'obstacles (rivières à traverser,
villages à contourner...) pour que sa réalisation puisse être
sérieusement envisagée. Mme Pistre, elle aussi de Castres, attaque
également cette proposition, car à l'école, on lui a toujours appris
que « la ligne droite est la route la plus courte pour aller d'un point
à un autre ». On remarquera que le trajet Castres-Verfeil, c'est 54 km
par Puylaurens, et 55 km par Lavaur... Comme quoi, le bon-sens, et les
souvenirs de la communale...
Pour
sa part, M. Coustenoble défend le passage par Lavaur, et invite à
penser les avantages d'une connexion de ce nouvel itinéraire routier
avec l'autoroute déjà existante au nord du Tarn. Il est suivi par le
porte-parole de l'UPNET, collectif d'association qui, le matin même du
débat, défendait sa position dans la
Dépêche du Midi. Selon M.
Courjault-Rade, il faut raisonner à l'échelle de l'aire métropolitaine
de Toulouse, dont le schéma de développement Inter-Scot préconise de
développer des pôles d'équilibre, dont celui de Lavaur-Saint Sulpice,
afin de limiter au mieux les effets de sa croissance démographique. Il
rappelle que dans cette charte Inter-Scot, la vallée du Girou est
identifiée comme un territoire à vocation agricole et si l'autoroute
Castres-Verfeil se fait, ce sera à l'encontre de ces objectifs. Enfin,
un des derniers intervenants, conducteur de bus dans le Tarn, revient à
la charge pour défendre l'intérêt d'un passage par Lavaur de la
nouvelle route. Sa construction permettrait de faire disparaître du
centre de cette ville les très nombreux camions qui la traversent
quotidiennement. Avec un humour certain, il accuse Bernard Carayon,
député-maire de cette ville et farouche partisan du projet d'autoroute
concédée Castres-Verfeil, de n'être rien d'autre qu'un « nymbiste »,
puisque il serait d'autant plus partisan du projet d'autoroute qu'il
n'aurait pas à en subir les nuisances à proximité de chez lui.
On
l'aura compris : partisans et opposants du projet mis en débat n'auront
pas trouvé dans la proposition d'itinéraire alternatif la voie pour se
mettre d'accord. Quoique... La solution, c'est peut-être le conseiller
municipal de Castres, le bien-nommé Pierre Fabre qui l'a trouvée, dans
sa violente charge contre Danièle Barrès, la présidente de la CPDP. En
effet, il accuse ceux qui ont proposé l’itinéraire par Lavaur de
vouloir purement et simplement « enterrer le projet ». Mais elle est
là, l'idée de génie : enterrer l’autoroute, sous la forme d’un tunnel !
Bon, d'accord, les coûts risquent d'être augmentés de manière sensible,
mais c'est la solution rêvée pour réunir tout le monde dans un vrai
consensus. Les actionnaires d'Eurotunnel se seraient d'ailleurs déjà
manifestés, et proposeraient (selon nos sources) aux futurs
actionnaires du tunnel sous le Girou une offre publique d'échanges de
leurs titres, à hauteur de deux titres Castres-Toulouse pour un titre
Eurotunnel. Les investisseurs se bousculeraient déjà au portillon. Il
n’y a pas que les poissons qui font des bulles.
L'histoire et l'anthropologie nous apprennent que les sociétés se
construisent en partie sur les rapports qu'ils entretiennent avec leurs
disparus. À ce titre, les chercheurs du futur disposeront avec les
verbatim des réunions de ce débat public d'une source précieuse. En
effet, pas une réunion où les morts n'aient été convoqués par les
partisans du projet, et Lavaur n'a, malheureusement, pas fait exception
à cette règle. Claude Dayon, suppléante du député Philippe Folliot,
place au cœur de son argumentation les trop nombreuses « silhouettes
macabres » qui hantent le bord de la RN 126. Michel Mottes nous rejoue
la scène désormais classique de l'élu qui doit aller, en pleine nuit,
frapper à la porte d'une maison endormie pour annoncer la terrible
nouvelle de la mort d'une jeune personne accidentée ... Mmes Pagès et
Guiraud, de l'association « les routes de l'avenir », curieusement en
accord sur tout, à la virgule près (elles lisent mots pour mots le même
texte !), s'insurgent également contre le caractère terriblement
accidentogène de la route actuelle. Bon, bien évidemment, comme le dit
M. Deloche, on ne peut mesurer le coût humain d'un accident de la
circulation, « parce qu’il est au-delà de toute mesure ». Par contre,
il ajoute qu'« on peut sans doute en calculer les conséquences
financières, et notamment le coût environnemental en kilo de CO2 ». On
doit vous avouer qu'on n'a toujours pas compris le sens de cette phrase
obscure, et étonnante. Faut-il entendre que M. Deloche, qui met en
avant son inscription dans les problématiques écologiques et dans les
objectifs de la loi Grenelle, envisagerait sérieusement d'établir le
bilan carbone des morts sur la route (pour mieux les taxer?).
Formidable ce débat...
Que
répondre à des gens qui viennent ainsi vous expliquer que rien ne vaut
la vie, et que de ce fait l'ensemble des morts de la RN 126 exigent la
construction de l'autoroute? Que si le projet se réalise, on pourrait
leur remettre à titre posthume la distinction de « morts pour la route
», comme d'autres sont, en leur temps, « morts pour la France »? Cette
instrumentalisation de l'émotion, cette volonté d'accaparer des
souffrances – réelles- à des fins de démonstration est tout bonnement
insupportable. Qu'on se le dise une fois pour toutes : les morts, de la
RN 126 comme d'ailleurs, n'appartiennent à personne.
Pour
sortir de l’émotion, notre seul recours est l’analyse et la réflexion,
et on peut rappeler que le collectif RN 126 a fourni, sur le site du
débat public, une étude d'accidentologie très poussée de la RN 126 et
de la RD 42 (http://www.debatpublic-
castrestoulouse.org/docs/contributions/associations/20100106-collectif-rn136.pdf).
Les conclusions démontrent, entre autres, que ces itinéraires ne sont
pas plus accidentogènes que les autres routes du Tarn, et que le
facteur d'accident sur la RN 126 a été divisé par 4 depuis 10 ans. À
notre connaissance, personne n'a encore réalisé d'étude à même de
contredire ces constats.
Cet exemple du caractère supposé particulièrement accidentogène de la
RN 126 est une parfaite illustration d'un malentendu, présent dès le
début du débat, et loin de s'être dissipé. M. Étienne, journaliste
indépendant, et descendu parmi les premiers du bus Castres-Voyages, a
très bien éclairé ce décalage, lorsqu'il a affirmé : « De nombreux
témoignages favorables au projet ont été rapportés au cours de ces
réunions et il n’est pas dans mon propos de les reprendre. De même, les
opposants ont fait valoir leurs arguments ». Témoignages, / arguments,
tout est dit : les partisans du projet sont venus livrer leurs
expériences, essentiellement douloureuses, ainsi que leurs désirs
légitimes. Alors que les opposants ont argumenté (entendre « ergoté »,
« palabré » selon certains...). Et il n'est pas content, M. Étienne :
parce que ces échanges verbaux ont eu un coût qu'il juge exorbitant, à
savoir 1,3 million d'euros. Mais le coût de ces débats, c'est tout
simplement celui de la démocratie. Anotre tour de reprendre l'un des
arguments phares des partisans du projet : rien n'est gratuit! Or, les
citoyens ont le droit de connaître les arguments des opposants, mais
aussi de ceux qui soutiennent le projet. Alors, c'est sûr que plus d'un
million d'euros, cela peut sembler cher payé si on en reste à des
approches impressionnistes, qui peinent à s'appuyer sur des données
objectives... Mais si cet argent a pu permettre de diffuser une autre
musique que celle du « lipdub », alors, on se dit que cet argent, n'en
déplaise à certains, aura été utilement employé.
Le
problème, c'est bien que dès le départ, de nombreux partisans du projet
ont cru devoir se placer dans le champ de l'émotion, et ont donc
rivalisé d'imagination pour tenter de nous toucher au plus profond de
nous-mêmes. Quelles réactions Mme Garcès souhaitait-elle provoquer, en
répétant, d'un ton grave qu'atténuait pourtant un sourire malicieux : «
Castres est une île qui s'éloigne... »? (« La femme est une île, Fidji
est son parfum », ça c’est nous qui l’ajoutons). Dans toute son
intervention, on retrouvait en filigranes la rhétorique chère au maire
de cette ville : Castres souffrirait essentiellement de sa taille
moyenne, de son isolement, qui la soumettent à toutes les concurrences,
forcément déloyales... Le thème d'un monde qui tiendrait à l'écart le
bassin Castres-Mazamet, tant ressassé lors de ce débat, se révèle pour
ce qu'il est : une mystification. Et arrêtons avec l’enclavement car,
se raccrocher à ce même monde par un équipement obsolète : enclavement
; ne pas dépasser certaines barrières mentales, refuser les évolutions
du monde et sa complexité : enclavement ; proposer un festival d’été
castro-castrais, qui n’a pas vocation à rayonner (dixit le maire), et
où les stars viennent directement des années 60, 70 et 80 (Florent
Pagny, I Muvrini, Hugues Aufray) : enclacvement. Il y a effectivement
une attente dans cette ville, celle de s’ouvrir, et de mettre en avant
les formidables talents locaux.
(Remarque: Mme Garcès, toute à l’émotion de sa tirade, a omis de nous
dire qu’elle est directrice de la communication de la mairie de
Castres).
Ce
rejet de la discussion argumentée s'est, enfin, traduit par une
essentialisation certaine du débat. « Le » tarnais existe : on nous
avait déjà dit, lors de la première réunion publique de Castres, qu'il
était par essence favorable au projet d'autoroute. L'intervention de M.
Maraval, lui aussi responsable en communication, mais cette fois-ci à
la communauté d'agglomération Castres- Mazamet, a permis d'affiner le
portrait : le tarnais est aussi « affable et posé ». Ce qui n'a en rien
empêché M. Maraval de prendre violemment à partie les membres de la
CPDP, accusés, devinez quoi, de faire le jeu des opposants, en
annonçant la diffusion, lors de la réunion de clôture du débat public à
Verfeil, d'un petit film résumant les prises de parole lors des
différents débats publics. Au passage, le tarnais doit aussi être un
peu paranoïaque, puisque ce film n'avait toujours pas été monté, au
moment où M. Maraval s'en plaignait amèrement.
Une nouvelle explication de texte s'impose. Soit un argument phare des
partisans de la LACT : d'accord, le péage va coûter cher, mais il faut
bien que quelqu'un paie, alors autant que ce soit l'usager. On
reconnaît ici le principe : « l'utilisateur doit être le payeur ». On
nous l'a présenté sous tous les angles, cet élément en apparence
imparable. Le magazine Vivre à Castres nous avait expliqué que la
pauvre mamie castraise, sans véhicule, n'avait pas à payer pour le
camionneur étranger qui allait emprunter l'autoroute. Lors de la
réunion de Lavaur, ce sont deux jeunes visages qui sont venus nous
marteler le même discours : Melle Mokhlisse, qui vient de terminer ses
études, trouve évident que ce soit seulement celui qui utilise la route
qui finance sa construction. Elle avance : « En termes d’équité, le
principe d’utilisateur payeur est de loin préférable à celui où tous
les contribuables participent au financement de l’infrastructure ».
Alors que M. Orlandini, encore étudiant, trouve parfaitement normal
d'envisager de payer un péage « exorbitant » (c'est lui qui le dit)
pour utiliser l'autoroute, car penser ainsi, c'est pour lui défendre «
l'intérêt général ». On ne peut, sur ce même thème, passer sous silence
la remarquable intervention de M. Wodzinscki. Il commence par nous dire
que, resté silencieux jusque-là, il se décide « enfin à parler ».
Depuis le temps qu'on attendait ( !), on n'a pas été déçu. Il nous
parle de sa maman, Ginette, et de son « bon-sens » légendaire. Elle a
compris, Ginette, que l'État n'a plus d'argent et doit arrêter de jouer
les paniers percés... Et puis qu'est-ce qu'on met dans le panier de
l'État, si ce n'est nos propres sous? Alors, Ginette, elle se dit que
ceux qui veulent prendre l'autoroute, ils pourront au moins mettre
directement leurs petites pièces dans le bac à monnaie du péage, plutôt
que dans le panier percé de l'État. Et puis, elle continue sa
réflexion, Ginette, et elle se dit que le futur concessionnaire, lui
aussi plein de bon-sens, ne demandera pas de subvention d'équilibre,
car il sait que les collectivités territoriales n'ont malheureusement
pas d'argent. Oui, oui, vous avez bien lu : les grands constructeurs
d'autoroute, en prise avec le réel et plein de philanthropie, vont
accepter de perdre plus de 100 millions d'euros... C'est le syndrome de
l'Archipel : pour gérer l'eau sur la ville de Castres, la Lyonnaise des
eaux avait en son temps « offert » cet équipement à la ville, avant de
se payer sur la bête une fois le contrat signé. Oui, Ginette, tu peux
continuer de rêver, le futur concessionnaire va offrir une voiture
électrique à chaque famille castraise pour nous inviter à utiliser
l'autoroute. Mais, en contrepartie, cette dernière sera concédée pour
600 ans, avec un péage en légère augmentation par rapport aux
prévisions initiales... Le futur « comité de l'autoroute », à l'image
de son prédécesseur pour l'eau, peut déjà se préparer à lancer les
futures procédures judiciaires contre nos grands asphalteurs
habituels...
Mais
revenons à la fausse opposition contribuable / usager. L'existence
d'une subvention d'équilibre la rend, à elle seule, caduque. La mise en
concession privée n'empêchera en rien le contribuable de payer.
D'autant plus, comme le rappelle M. Algans, qu'il faut ajouter le « vol
» des deux déviations de Soual et Puylaurens déjà financées. Ce qui
l'amène à ce commentaire inspiré : l'autoroute, c'est du temps gagné
pour les riches, et du temps perdu pour les pauvres, obligés de
retraverser ces deux villages, alors qu'ils avaient participé par leurs
impôts au financement de leur contournement! Il faut aller plus loin,
et dire à nos farouches défenseurs de la solution concédée que si on
applique le raisonnement à leur propre parcours, ils sont certainement
les premiers à défendre les frais d'inscriptions non-subventionnés à
l'université, la disparition des APL (après tout, l'usager étudiant ou
locataire n'a qu'à payer, pourquoi bénéficierait-il de la solidarité
par l'impôt?). Mais alors, M. Orlandini, adieu veau, vache cochon, et
les vacances entre amis en automobiles. Parce que les vacances (les
soirées et les week-end), vous pourrez les passer à travailler chez Mac
Donald's, ou à livrer des pizzas, pour tenter de réunir les 25 000
euros nécessaires au paiement – pour une année – de votre formation. A
moins que Papa et Maman ne casquent. Équité qu’ils disent.
Oui,
ce débat sur l'autoroute est politique : et oui, la gauche, plus
largement, se doit de mener la réflexion sur une revalorisation de
l'impôt. Rien n'est gratuit, tout à un coût, mais c'est la défense d'un
coût partagé par le biais de la solidarité induite par l'impôt qui doit
être à la base de notre réflexion. Au nom des Verts du Tarn, Guillaume
Cros ne dit rien d'autre dans son intervention. Derrière la fausse
opposition contribuable / usager, ce sont bien les questions de notre
projet de société, de notre vision du vivre-ensemble qui se trouvent
posées. « Un intellectuel assis va moins loin qu'une brute qui marche »
disait Michel Audiard. Certes, mais il y a parfois du bon à rester
assis quelques instants, pour réfléchir à tout ça.
Claude Reilhes, maire de Maurens-Scopont, intervient pour exprimer son
opposition au projet. Le fait d'être traversée par cet équipement
n'apportera rien à sa commune, qui a su attirer des entreprises sans
autoroute, tout en maintenant sa dimension essentiellement agricole. Il
signale que Maurens-Scopont est déjà traversée par le réseau de fibres
optiques Castres-Toulouse, mais qu'elle n'y est pas raccordée :
personne ne semble avoir pensé à le proposer, alors que les habitants
et les entreprises n'ont pas tous accès au haut débit. Entre les
lignes, on comprend que ce que M. Reilhes craint, c'est de voir les
petites communes placées sur le trajet de l'autoroute exclues des
concertations futures, si le projet venait à voir le jour. Il termine
son intervention en disant bien qu'il est cependant prêt à discuter
avec tout le monde. Ça tombe bien, Dolores Issa (CM Mazamet) veut aider
les maires des communes traversées, à maîtriser l'étalement urbain qui
naîtrait de la construction de l'autoroute. Il faut les accompagner,
pour qu'ils restent vigilants dans l'établissement de leurs futurs
plans locaux d'urbanisme. L'idée est simple : comme vous n'aurez pas
les moyens d'accueillir ces nouvelles populations, il faudra les
rediriger vers Castres, Mazamet, Revel, des villes qui pour leur part
disposent des équipements et des services nécessaires... On ne sait pas
trop quelles formes pourraient prendre cet accompagnement, mais on
entend déjà l'accusation implicite : si vos communes « explosent » du
fait de l'autoroute, c'est que vous n'aurez rien fait pour l'empêcher.
On
est là, finalement, au cœur de ce qui fut la vraie interrogation
apparue lors de ce débat de Lavaur, même si elle est restée largement
dans l'ombre, comme un tabou que personne n'oserait vraiment briser.
Les partisans du projet mettent sans cesse en avant la communion
(largement supposée) de tous les élus en faveur de l'autoroute. Mais
tout le monde pourra-t-il bénéficier à la même hauteur des effets,
éventuels, qu'on en attend? Ne va-t-on pas assister à un durcissement
de la compétition entre les villes traversées par le trajet? Joseph
Dalla-Riva, conseiller général et adjoint au maire de Lavaur, défend
l'autoroute, car on se doit de donner leur chance à des communes comme
Cuq-Toulza ou Puylaurens, de la même manière que Lavaur, Saint Sulpice
ou Gaillac ont pu se développer grâce à l'autoroute qui traverse le
nord du département... M. Dalla-Riva le pressent : la croissance
démographique de ces communes, plus proches de la métropole toulousaine
que Castres ou Mazamet, va être grande. Ça doit être cela, ce qu'il
appelle leur donner leur chance. Et, bien évidemment, ces communes ne
chercheront pas à retenir ces nouveaux habitants, mais feront tout pour
les amener à Castres, comme les y invite Mme Issa. Rappelons que dans
son dossier, la DREAL prévoit pour Castres un apport en population 12
fois supérieur aux nombres d'emplois créés. Et, d'après vous, ils vont
travailler où, ces nouveaux Tarnais? Qui, au fond de la salle, vient de
lancer, à tout hasard, Toulouse? Et qui ajoute que quitte à aller
travailler à Toulouse, mieux vaut encore construire sa maison à
Cuq-Toulza, puisque ça divise par deux le temps de trajet par rapport à
Castres? Deux heures de colle pour les fortes têtes!
Ces
précisions étaient indispensables pour mieux percevoir les limites de
la nouvelle approche développée par le Conseil Général du Tarn. C'est
Pierre Verdier, maire de Couffouleux, qui prend la parole, au nom de
Thierry Carcenac, pour défendre totalement le projet d'autoroute
concédée. Bien sûr, il regrette qu'un projet sur fonds public n'ait pu
voir le jour, mais comme il y a « urgence », le Conseil Général défend
l'autoroute concédée. « T'approuves mais tu regrettes, c'est ton côté
socialiste » chante au passage Bénabar. Mais M. Verdier, qui pour
l'occasion semble s'être entouré des conseillers en communication de la
mairie de Castres, a décidé de nous démontrer pourquoi cette autoroute
s'inscrit parfaitement dans les perspectives de développement durable.
Si on résume : grâce à l'autoroute, les entreprises vont s'installer à
Castres. Donc, les gens ne se déplaceront plus trop loin pour aller
travailler. L'objectif étant, je cite de « maintenir les populations
sur place ». Un joli désir, mais on comprend mal comment M. Verdier
peut passer outre les chiffres avancés par exemple par la Direction
Générale de l'Équipement en 2002, au sein d'une vaste étude consacrée à
la couronne péri-urbaine de l'agglomération toulousaine (http://www2.midipyrenees.equipement.gouv.fr/31/collectivite/politique_urbaine/7.pdf).
Elle démontre clairement que les habitants de cette couronne
péri-urbaine (à laquelle appartient Couffouleux) sont « fortement
dépendants » du pôle urbain. À tel point que « deux actifs sur trois
résidant dans le périurbain » travaillent sur Toulouse, et la
proportion monte même à 80% pour les habitants les plus récents. Bien
évidemment, la présence d'un axe autoroutier ne fait que confirmer et
renforcer ces tendances. Conclusion logique, l'autoroute «
développement-durable », c'est comme « l'éco-autoroute » : un beau
produit de communication, mais qui ne résiste pas à l'épreuve des
faits. Et qui rend les écologistes, les vrais, verts de colère.
La transition est toute faite. En plus ça ira vite. L’environnement
: on n’en parle pas. « A priori, ça n’intéresse personne de parler
nature et petits oiseaux ». C’est M. Tirefort qui le dit, pour la
première fois. On espère que « les pelouses sèches méditerranéennes »
peuvent se développer dans la nuit de l’asphalte, parce que notre
écologiste est remonté, et prêt à « s’opposer physiquement au projet,
comme dans les années 70 ». Les années 70, toujours et encore…
La DREAL répond que l’étude d’impact aura lieu au moment de la
réalisation du projet. Mais c’est le projet lui-même qui est un impact
irrémédiable !
Prix Karl Marx
Pour Jacques Barthès, PDG de Germiflor. Sa prise de conscience des
absurdités du capitalisme mondialisé est admirable. Il constate qu’un
chargement de 25 tonnes d'engrais coûte aussi cher à expédier à Reims
qu'en Chine. Attention : s'il continue à trop réfléchir, il va finir
écolo-gauchiste, laisser tomber les engrais organiques pour investir
dans des fermes communautaires où l'on fertilise les sols avec des
engrais verts comme le colza.
Pour Sandrine Garcès, et son « Castres, c'est l'enfer ». Mais non, l'enfer, c'est les autres, les opposants qui ne veulent pas comprendre que ses amis toulousains et montalbanais ne veulent plus lui rendre visite à Castres parce que « Castres s'éloigne ». Bon, en tant qu'opposant, on veut bien assumer beaucoup de choses, les couples brisés, les emplois perdus, les amitiés évanouies du fait de l'absence d'autoroute... mais la tectonique des plaques, là, on s'excuse, c'est vraiment pas de notre faute.
Pour M. Coustenoble. Il est énervé. Il n'admet pas que M. Grammont, représentant de la DREAL, ne veuille pas reconnaître le manque de sincérité du dossier qu'il défend. Bon, en même temps, on ne va pas lui demander de scier lui-même la branche sur laquelle il est assis. Alors que le débat se poursuit, M. Coustenoble se lève, se plante devant M. Grammont, et, les yeux dans les yeux, lui lance : « osez me dire que ce que je vous dis n'est pas la vérité ». Trouble certain devant ce remake du duel Stallone – Mister T, œil du tigre et Survivor, la totale. Ma voisine, néophyte, me demande : « il se passe toujours des trucs comme ça, dans les débats? ». Non, là on est dans l'inédit. Finalement, les choses se terminent bien, loin du règlement de compte à OK Corral un moment entrevu.
Pour Philippe Grammont, pour la scène évoquée juste avant. Si, si, dans son duel avec M. Coustenoble, on a revu un instant le vieux sphinx répondant à Jacques Chirac, alors premier ministre, lors du débat télévisé de l'entre-deux-tours des présidentielles de 1988 : « les yeux dans les yeux, je vous le dis ». Rappelons que Chirac souhaitait alors le mettre en difficultés sur l'affaire des otages du Liban, et accusait Mitterrand, de manière plus ou moins implicite, de mensonge. Mitterrand dément. Mitterrand ment. Tout le monde le sait. Et pourtant, il remportera quelques jours plus tard les élections. Il faut dire que son « les yeux dans les yeux, je vous le dis » semblait un poil plus assuré que celui de M. Grammont. Un poil. Et attention, on n’a pas dit que la DREAL ment, même par omission.
Pour l'association « Les routes de l'avenir ». On avait déjà remarqué que les partisans de l’autoroute utilisent souvent les mêmes phrases. Mais de là à lire le même texte, à l’identique, à 5 minutes d'intervalle… Deux possibilités : les cerveaux sont restés dans le bus (soutes bloquées), ou les pisse-copies sont fatigués. En tous cas c’était plus drôle que « l’ours blanc » ou « les Shadocks ». N’est pas humoriste qui veut.
Pour Melle Mokhlisse, qui nous a expliqué que la durée de ses trajets entre Castres et Toulouse variait « du simple au double ». Petit rappel des faits : on avait déjà eu le journaliste de M6 qui avait mis plus d’une heure trente pour faire le trajet, arrêt au bar-tabac de Cuq-Toulza « Chez Marylou » compris. Melle Mokhlisse doit parfois s'y arrêter à l'aller comme au retour, et remettre la tournée! Mais non, ce n'est pas la situation de la RN 126 qui double la durée du trajet Castres-Toulouse, mais les embouteillages au Mélou ou/et sur la rocade de Toulouse. Et elle y changera quoi, l'autoroute?
Pour Alexandre Wodzinski. On ne peut dénier certaines qualités aux
défenseurs du projet autoroutier. Alors lorsqu’un des grands penseurs
de la promotion du projet s’exprime, vers la fin des débats, et après
une longue attente, on espère du percutant. Et plouf ! Il nous fait le
coup du bon sens et de sa maman Ginette qui gère bien son argent. Pas
d’envolée théorique, d’argument évident susceptible d’emporter
l’adhésion de tous et d’ébranler les convictions des plus farouches
opposants. Encore un esprit brillant qui se fracasse sur l’asphalte
noir de l’autoroute. Et on dit qu’une autoroute est moins accidentogène
que la RN 126.
Le monde change.
Soyons acteurs de notre époque
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