Instable,
la route couverte de neige, glissante, à l’image de ce débat, qui ne
trouve plus sa voie. Les protagonistes de tous bords sont déboussolés,
et hurlent à l’injustice et à la manipulation. Tout le monde suspecte
l’impartialité de la commission du débat public, ce qui est finalement
bon signe pour elle. Il faut dire que la situation est complexe. Jugez
plutôt. L’association RN 126 demande une étude complémentaire
d’aménagement de la route actuelle pour envisager une alternative aux
deux propositions de 2X2 voies contenues dans le dossier. Mme Barrès,
présidente de la commission juge la demande recevable, dans le cadre du
règlement du débat public. La DREAL, qui représente l’État, refuse de
faire cette étude car à ses yeux, elle n’entre pas dans le cadre de
l’intitulé de saisine du débat public. La présidente se réserve la
possibilité de la faire néanmoins réaliser par d’autres moyens, car
celle-ci demeure malgré tout recevable. Colère chez les partisans de
l’autoroute qui hurlent au parti pris de la part de la Présidente.
Grosse fatigue à Soual puis vacances. Et de Paris, vient la décision de
la commission nationale du débat public, les chefs de M Barrès en
quelques sortes, qui déclarent que la demande d’étude n’est pas
recevable dans le temps imparti, car ce n’est pas une étude
complémentaire, mais une nouvelle étude. Là, ce sont les opposants qui
ne sont plus trop jouasses et qui s’interrogent sur le pourquoi, mais
aussi sur le comment. En effet, depuis le premier jour du débat à
Castres, Mme Barrès n’a de cesse de répéter qu’on pouvait aborder
l’opportunité du projet, et qu’une solution alternative pouvait très
bien émerger lors des réunions publiques. Mais l’opportunité du projet
n’est en rien traitée dans le dossier, et la demande d'étude sur
l'aménagement de la RN 126, qui a émergé au cours du débat, a donc été
rejetée. Or, cette demande est apparue après 7 réunions, quand bon
nombre de personnes ont compris que le dossier monté par la DREAL
présentait deux projets autoroutiers très similaires, tous les deux en
site propre (ce qui n’était pas évident pour tous), et que la RN 126
était de fait exclue de l’étude. Concrètement, comment fait-on pour
faire émerger une autre solution, et comment fait-on pour avoir le
temps d’en faire l’étude ? Rappelons que le débat est écourté pour
cause d’élections régionales. Autre « petit souci », la DREAL refuse de
faire l’étude demandée, car la saisine est intitulée « accélération de
la mise en concession », et non pas « opportunité de la mise en
concession ». Les membres de la commission le savent bien, eux qui
disent « faire pression sur la DREAL » pour que le public ait des
réponses rapides et de qualité. Mais là, les pressions ont un effet
nul. Comment faire alors ? Dès lors, c’est l’intitulé de départ du
débat qui est tendancieux, et l’acceptation de cette formulation par la
commission nationale est incompréhensible, mais cela n’empêche pas
toutefois de discuter de l’opportunité. Vous n’y comprenez plus rien
braves citoyens ? C’est normal. La théorie du complot vous colle la
nausée ? Alors un Prozac, et au lit, vous avez déjà assez erré dans la
nuit. Ce débat c’était, dans votre bassin enclavé où vous ne rigolez
pas tous les jours, pour vous distraire un peu. Et on vous fera un beau
film à la fin et vous pourrez vous écrier « Oh regarde c’est moi sur
l’écran, et là c’est l’oncle Norbert, il a un peu grossi non ? ».
Peut-on vraiment en rester là?
Et bien non! Les deux mots « débat » et « public », ont
pour nous un sens. Débat, pour faire émerger de la discussion une
solution, ou des solutions qui répondent au problème posé, par des
arguments, et non pas par en raison d'une obsolète loi du plus fort (ou
du moins de celui qui crie le plus fort). On ne peut accepter que les
décisions se prennent en catimini, dans le bureau d’un ministre, plus
soucieux de satisfaire les égos de quelques élus de province, que de
donner corps à son Grenelle de l’environnement. Nous sommes de ce fait
des soutiens inconditionnels du discours d’intention de la commission
présidée par Mme Barrès, et nous restons liés à lui par le simple fil,
ténu, de la citoyenneté.
Tout ça n’est que le sous-texte du débat d’Auriac, les tréfonds, la partie invisible. Mais nous sommes là, nous veillons, pour vous, en voici le compte-rendu.
Faut-il entendre certaines phrases comme des présages ? « Quand une cause est indéfendable, on plaide le vice de procédure » analyse M Astruc, pro-autoroute. Le même poursuit en remarquant « l’ironie du refus des règles du débat par des personnes qui l’ont souhaité ». C’est vrai, comment a-t- on pu oublier que les personnes qui souhaitaient débattre étaient majoritairement des opposants? Mais c’est bien, de rappeler que tout cela repose sur des règles, et qu’il faudra s’y référer. Quant à l’ironie, elle fait ici boomerang. Pour M Serdan, de Castres, les opposants sont « des idéologues, des juristes, des économistes ». C’est flatteur. Seulement, heureusement que parfois l'humain se transcende, dépasse sa simple condition... Ainsi, des ouvriers du textile, comme ceux de Dynamic à Castres, peuvent devenir le temps d’un combat, des juristes, et faire reconnaître par la justice, le caractère juste de leur lutte, et notamment l'unité économique et sociale qui liait leur entreprise au groupe Carreman... Malheureusement, la décision est intervenue quelques jours trop tard, et n'a pas pu empêcher la liquidation. Un exemple à suivre, et à méditer, pour sûr.
« Le principe de gratuité est fallacieux car tout le monde paie », alors qu’avec le péage, « l’utilisateur est le payeur ». Combien de fois devra-t-on encore entendre de telles inepties? Rappelons- le : pour les pro-autoroutes, il convient donc de dégommer le service public, qui a pourtant déjà montré tant de fois son utilité, notamment en cas de crise... Par exemple au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la solidarité et l’entraide ont permis de remettre le pays debout. Et aujourd’hui encore, alors que nous sommes au cœur d’une crise financière mondiale, on peut entendre que la France résisterait relativement mieux, notamment grâce à son secteur public. Fort logiquement, il conviendrait donc de continuer à privatiser, à préférer un bouclier fiscal à une redistribution équitable des richesses. Reprenons à notre compte la phrase mise en exergue par M Vilchès, lors de son numéro de Schadock pompant (on vous passe les détails, c’était très drôle, ça tournait en dérision les opposants, ça a fait rire Mme Barrès, tant mieux, car elle en a bien besoin). « Plus ça rate, plus on a de chances que ça marche ». Nos banques, ruinées, puis renflouées avec nos sous, à nouveau conquérantes et arrogantes ré-alimentent illico la bulle qui les a fait chuter, elles et les personnes comme Mme Montigny, de Revel, que ça met en colère. Les conséquences ne sont peut-être pas les mêmes aux deux bouts de la chaîne... Le discours de cette dame est véhément à propos des inégalités sociales, et elle recevra des protestations pas très dignes (pour ne pas dire plus...) dans la salle. Elle dit « sa peur que le RMI et le RSA disparaissent, vu le nombre que nous sommes pour nous partager ces allocations ». On peut aussi y entendre la peur de disparaître, qu’ont ces personnes précarisées, la peur de ne plus être visibles, de ne plus exister aux yeux de la société. Ensuite, vient une petite leçon de commerce de M Borgié de Castres, qui, à propos du péage, déclare « en bon commerçant, on adapte le prix à la clientèle ». Mais une autoroute, c’est une situation de monopole, alors l’adaptation elle va être vite vue ! A moins que, service public oblige, l’état ne régule, ce qui n’est pas un gros mot, rappelons-le. Finissons par un dernier point sur ce sujet hautement d’actualité, avec la chaudière bois de Castres et son nouveau réseau de chaleur. La gestion en a été confiée au groupe privé Coriance, dont le représentant a pris la parole au cours de la soirée. Pourquoi, comme pour la gestion de l’eau à Castres, ne pas avoir retenu une gestion par la puissance publique (communauté d’agglomération), plutôt que privée ? Par efficacité, idéologie, facilité, intérêt pour le citoyen ? A vous de juger.
M Narbonne de Castres voit dans l’autoroute une opportunité de développement, en particulier « là où il n’y avait rien, comme sur le Causse, et ce n’est pas moche, au contraire, la nature est préservée, à l’opposée des années 70 ». « Imaginez tout ce qu’on pourrait construire grâce à l’autoroute, de nouveaux endroits pour vivre, il y a des architectes pour ça ». On en frémit déjà. M Leman est lui-même architecte, au Faget, et il nous parle de l’étalement urbain. « Toulouse est 5 fois moins dense que Lille, et 3 fois moins que Marseille ». Il cite David Mangin, architecte français renommé, qui vient de publier un livre, où il aborde l’étalement urbain, en décrivant nos villes comme des juxtapositions d’espaces qui sont cloisonnés et accessibles les uns des autres uniquement par la voiture. Ce sont les zones pavillonnaires privées, les centres commerciaux et les routes. Nous aurions besoin d’éclairages de ce niveau, pour réfléchir, non pas au « désenclavement » de Castres, vieux concept naphtaliné, mais au développement de la ville, pour qu’elle augmente son harmonie. Peut-être gagnerions-nous en population, non pas du fait de la facilité de se rendre à Toulouse en voiture, mais pour le plaisir de vivre dans une ville métissée dans ses usages et sa population. Pour finir sur les bâtisseurs, citons M Marcom, qui utilise des matériaux locaux pour construire des maisons : « le bois vient de la Montagne Noire, le chanvre est local, et les briques cuites viennent de Verfeil, ou Albine ». Il n’a pas l’air malheureux, bien au contraire, de ne pas parler de parpaing ou de béton.
Pour parler de sécurité sur la route, rien de tel que d’évoquer les
drames quotidiens qui s’y déroulent. Et tant qu’à faire, pour
sensibiliser l’auditoire, de façon efficace, l’utilisation d’images
fortes semble la mieux adaptée. Il vous faut alors convoquer tout ce
que la vie peut avoir de dramatique, la souffrance et la fragilité des
corps, les déchirures irrémédiables des familles. Si en plus vous êtes
médecin urgentiste, comme Mme Boularan, ça devient grandiose. Même
David Cronenberg, et son Crash, à côté, c'est l'Île aux enfants et les
Barbapapas réunis. Et ce soir, rien n’a été oublié, « l’odeur du sang
mélangé à l’huile et à l’essence », « le drap blanc sur les victimes ».
Y’a les parents dis y’a les parents ? Oui, y’a « c’est un père, une
mère ». Et les enfants y’a dis y’a ? Bien mieux, petit, y’a « la femme
enceinte d’un fils qui ne connaîtra jamais son père ». Ça déchire
grave, avec du sang qui gicle partout sur le drap blanc. « Parfois la
chance sourit, et un hélico est disponible ». On n’est pas obligés
d’être pote avec une personne qui vous sauve la vie. Dans la série
santé, est aussi intervenu M Deljarry, kinésithérapeute, qui s’inquiète
de « l’impact sanitaire » du projet, lui qui fait partie du réseau de
garde contre la bronchiolite. « Le nombre de patients atteints en ville
est de plus en plus important », mais aucune description de sa part
d’une alvéole pulmonaire sanguinolente ravagée morte. Décevant. M
Grammont de la DREAL confirmera que la pollution de l’air serait accrue
avec une autoroute, mais que la concentration de polluants serait
moindre, car les populations ne seront pas proches de l’autoroute.
C’est subtile parfois le développement durable.
Pour Mme Mascaux habitante de Castres, et qui a vécu à Douai (Nord). Y’en a des qui ont la nostalgie de la gelée du Pot’je vleesh qui coule sur les frites chaudes, et ça leur porte sur le système nerveux central. Pour elle, le débat « est irréel » vu de là-bas, car « la proximité de l’autoroute et de la métropole lilloise leur a permis de se développer ». Il est vrai que là-bas, le réseau autoroutier hyper- développé, empêche le chômage, et son corollaire de pauvreté. Comme à Noyelle-Goudault, à 11 km de Douai, ville célèbre pour son usine, Métaleurope, qui porte finalement bien son nom. Elle a fermé après avoir rejeté des tonnes de plomb (métal) dans l’atmosphère, ayant pour effet de stériliser les sols, et de détruire la santé des anciens salariés et des riverains. Qui va payer la dépollution du site? Les anciens dirigeants ? Ils sont partis dans un pays voisin, en emportant la caisse. Mme Mascaux trouve ensuite « qu’après 1H15 en avion », sur le vol Lille Toulouse, « les 60 km sur une route perdue » pour arriver à Castres sont très longs. Un nouveau combat pour Autreroute : une ligne aérienne sécurisée et gratuite entre Castres et Lille pour désenclaver le bassin, et l’ouvrir sur la moule et les frites !
Pour Mme Taboury, et son ton de lecture …hésitant. C’est jamais facile de lire un texte écrit par d’autres (le cabinet noir de l’autoroute), encore moins en public. Florilège : « Je crois qu’il n’est plus nécessaire de garder les pieds sur terre », « l’autre soir à Bourge saint Bernard », « il faut finir le travail », « ne boudons pas notre joie », « la fertilisation des sols ». On sait pas ce qu’ils prennent dans le bus, mais faudrait freiner un peu.
Pour tous ceux qui vivent encore dans les années 70-80. Trop souvent noyés, lors des débats, par le contenu d'interventions qui nous replongent sans cesse dans l'atmosphère des émissions de télé nostalgiques de cette époque, ou encore dans celles des stations de radio genre RTL2 ou RFM, où règnent les reprises innombrables des chansons d’Eurythmics et autres... Toujours la même rengaine... À ce stade, il est permis de se demander quelle divinité nous avons bien pu offenser, pour qu'elle nous punisse aussi sévèrement.
Pour M Marcom, et sa belle phrase « le monde va redevenir extrêmement grand ». Méditons.
Pour M Bugis et son sens de l’opportunisme. Bien que ne partageant ni les convictions, ni les méthodes de M le maire de Castres sur ce débat, il faut saluer son investissement dans le dossier, et sa présence lors des réunions. Ce qui lui a permis de prendre une troisième fois la parole, alors qu’une seule intervention était, du moins au départ, autorisée. C’est qu’il est finaud l’animal, et qu’il s’est indigné des propos de comptoir tenus par un intervenant qui disait « allez voter pour des gens qui se foutent de votre gueule ». Il y avait là matière « à se sentir profondément insulté », et à placer au passage « les engagements en matière de développement durable de la ville de Castres », soit « les transports en commun gratuits », « qui était une promesse de campagne ». Chaque pas en faveur de l’environnement à Castres fait l’effet d’une nanoparticule dans le vide sidéral : il n'y a tellement rien que le moindre grain de matière écologique devient une bombe thermonucléaire, selon le principe d’équivalence matière- énergie décrit par Einstein, mais dans une acception qui l’aurait peut-être saisi.
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