C’est le deuxième débat qui était organisé, et il n'a pas été de la même nature qu’à Castres. La thématique de l’emploi y a été centrale, et on a tenté de minimiser l’impact du prix du péage. Alors que ce débat devrait être l'occasion pour les citoyens d'exprimer leurs avis, on a entendu beaucoup d’élus. De nombreux Castrais étaient présents, et on avait l’impression que les locaux ne prenaient pas souvent la parole. Par contre, la majorité municipale de Castres était présente en force, et on peut dire que l’équipe qui leur a rédigé les questions à poser avait beaucoup travaillé. Et oui, il ne fallait surtout pas se laisser surprendre, comme lors de la première réunion. Ont pris la parole dans l’ordre : Mme de Villeneuve, Mme Messean de Selorges, Mme Galissard, Mme Amen.
Quels enseignements peut-on tirer de cette soirée?
Cela concerne le péage et le coût total des travaux. Le péage sera bien
de 5,75€, jusque Verfeil, auquel on ajoute 1,30 € entre Verfeil et
Toulouse : total 14 à 15 €. Mais cela semble anecdotique aux yeux des
partisans de l’autoroute. La plupart des gens vivent aujourd’hui une
crise financière, mais ils peuvent amputer leur budget pour gagner du
temps, et peu importe la somme. La route est gratuite, elle ne le sera
plus, mais c’est la vie. Et d’ailleurs, on paie sur les autres
autoroutes. Et puis l’usager qui paie, c’est simplement normal. Je
gagne 1000 € par mois, je travaille à Toulouse, et je paie aller-retour
14,50 par jour. Je gagne 10 000 par mois, je travaille à Toulouse et je
paie 14,50 € par jour. C’est une forme de logique, pas très solidaire,
mais qui a une cohérence. Certes pas celle de M. Couliou, qui pense que
l’impôt est plus juste socialement parce que son caractère progressif
redistribue les biens, et lisse les inégalités. Il pense même que c’est
un fondement de la République. Et il décline les conséquences possibles
du dangereux principe « usager = payeur » si on les applique aux autres
services publiques : l’école, la poste, l’électricité. Cela met en
lumière que ce projet d’autoroute illustre finalement aussi celui de
l'avenir de la société dans laquelle on veut vivre, et il y a des
divergences très nettes.
L'argent toujours. La DREAL nous a présenté les chiffres actualisés en
2009 pour le coût total du projet, et ils sont plus élevés qu’en 2006.
Ah ? On est à 393 millions d’euros. 100 millions par ci, par là, on
s’approche petit à petit des chiffres calculés par le collectif RN 126.
Pourquoi présenter des chiffres de 2006 alors ? « Pour la cohérence de
la présentation du projet » répond Philippe Grammont, de la
DREAL. Le lendemain ma boulangère s’est inquiétée de ma santé, je
venais en effet de lui demander si c’était les prix 2006 sur les
étiquettes.
Et les deux contournements (Soual, Puylaurens) au fait : c’est cadeau !
Conclusion : en deux réunions publiques, les opposants auront réussi à
faire écrire par un journal aussi ouvertement pro-autoroute que le
Journal d'ici que les chiffres annoncés au début du débat ne sont plus
d'actualité, et par la Dépêche, pas forcément identifiée comme
opposante au projet, que le tarif du péage sera bien proche des quinze
euros... Continuons, et imaginons ce que les huit réunions suivantes
vont pouvoir nous apporter.
Ce fut le message de la soirée, et c’est déjà celui qui avait été
martelé en 2007, que ce soit pour la filière bois, la filière granit,
les salaisons. Alors chacun avec son style, et avec une sincérité tout
à fait respectable, est venu nous expliquer ce qu'il attendait de
l'autoroute en termes d'emplois : « Un bassin qui n’est pas irrigué
meurt », « il nous la faut quel que soit le coût du péage car c’est
vital », « des jeunes viendront vivre dans la montagne car ils seront
plus rapidement à Toulouse ». La DREAL, qui est notre expert technique,
n’a malheureusement rien à dire à cela, bien qu'elle ait reconnu avec
honnêteté qu'elle était incapable d'établir avec certitude le nombre
d'emplois qu'on peut attendre de cet équipement. Et pourtant, nous
aurions grand besoin d’un éclairage. Car pour les spécialistes,
l'équation : « autoroute = emploi » fonctionne sur courant alternatif :
c'est parfois oui, parfois non. Alors pour notre cas, ce sera quoi ?
Cela mérite une expertise indépendante, qui aille au-delà du simple
constat des gains d'emplois d'Albi ou de Montauban. L'autoroute
est-elle vraiment seule en cause dans ces gains?
Il doit en aller de même pour les gains de temps supposés, tour à
tour
estimés à 15 ou 20 minutes. Comment sont faits ces calculs ? De
centre à centre ? En passant par Verfeil ou par Dremil ? En allant au
Nord de Toulouse, ou à l’Est ? On ne le sait pas. Qui va rappeler que
plus on s’éloigne de Castres, plus le gain est négligeable, puisque les
routes qui mènent à Castres ne seront pas modifiées. Gagner 10 min sur
1 heure est plus intéressant que 10 min sur 1H25 en venant de Brassac.
Et de Lacaune alors…
On peut signaler l'irruption d'un nouvel argument dans le débat :
l’autoroute ne sera pas parcourue en aller-retour, car elle est faite
pour des gens qui s’installeraient à Castres, vivraient et
travailleraient à Castres, grâce aux nouveaux emplois créés par
l’autoroute (quand on vous dit que les partisans de l'autoroute ont
bossé...). Donc si on a bien suivi, il y aurait essentiellement des
camions sur l’autoroute, et pas de voitures personnelles. Donc
pas de péage pour les gens, mais pas non plus de rentrées d’argent pour
le concessionnaire, et un équilibre financier remis en question. Les
estimations de trafic à 7000 à 8000 véhicules/jour tiennent-elles
compte de cette nouvelle vision des choses? Et les Castrais qui
travaillent actuellement à Toulouse, ils trouveront logiquement un
nouvel emploi à Castres, et les Toulousains qui viennent à Castres
etc…. Et l’autoroute servirait surtout le week-end, pour aller faire du
shopping à Toulouse, ce qui rendra la vie à Castres plus supportable.
Venons-en au commerce, donc.
Les commerçants de Castres doivent-ils se réjouir de l’éventuelle construction d’une autoroute? Une commerçante de la ville, présente aussi sur Albi, nous a rappelé que la mise en concurrence avec Toulouse, permise par l'autoroute, était sévère, notamment pendant les périodes de fin de semaine, les fêtes et les soldes, moment de l’année où le chiffre est le plus élevé. Seule solution trouvée à Albi : construire un nouveau centre commercial, à l'entrée de l'autoroute, pour lutter contre la fuite des clients. Encore des grandes surfaces, des grandes surfaces toujours, des grandes surfaces pour toujours ? Et pour le petit commerce, cela se passera comment ? C'était le point « l'autoroute ne peut profiter qu'à tous ».
Notre expert de la DREAL, spécialement venu pour nous expliquer les
impacts sur l’écologie de la construction d’une autoroute, à l’heure de
la crainte des conséquences du changement climatique, à la veille du
sommet de Copenhague, s’est tout simplement assoupi ! Ne lui en tenons
aucun grief, personne n’a sollicité son avis éclairé. Il aurait pu nous
dire, par exemple, ce que signifie la phrase suivante, issu du dossier
de présentation du projet : « les effets sur l’environnement
apparaissent comme maîtrisables », car cette phrase au
conditionnel, est un peu inquiétante. Qu'a-t-il pensé de
l'intervention de Mme Gallissard, qui nous a dit, avec justesse, qu’il
faut combattre les carburants fossiles, ce qui passe, d'après elle, par
l'adaptation des voitures pour qu’elles deviennent propres. Est-ce que
cette confiance en la technique, qui résout tous les problèmes, est
raisonnable monsieur le spécialiste ? Ou avez-vous quelques réserves ?
La voiture propre, elle ne salirait pas ailleurs par hasard (nucléaire,
agrocarburant/alimentation)?
« Au nom de grands principes écologiques », on nous prive de «
l’évidence de l’autoroute » se désole Mme Amen. L’écologie est
effectivement un grand principe, et de nombreuses personnes l’ont
rappelé. Souvent elles ont demandé que le projet soit le plus
écologique possible, elles ont alors regretté qu’il n’y ait pas
d’alternative ferroviaire crédible, elles ont parlé du fret
ferroviaire, au départ de Toulouse (à ce propos, merci, Monsieur
le granitier, voir plus loin). Les préoccupations environnementales
étaient bien présentes, mais aucun relais n’était là pour transformer
ces désirs, en éléments réalisables.
Les personnes s'étant exprimées à Castres ne pouvant le faire à nouveau à Brassac, nos partenaires de lutte, que sont devenus certains inconditionnels du projet (voir compte-rendu précédent), ont malheureusement dû demeurer silencieux. Mais qu'on se rassure : cette réunion nous a aussi apporté son lot d'interventions insolites, d'arguments inattendus, de démonstrations parfois un peu dures à suivre mais au final éclairantes...
Qui veut gagner 20 jours de travail par an grâce à l’autoroute. C’est impressionnant, et plutôt bien calculé. L’autoroute ferait gagner, selon elle, 20 minutes à chaque trajet (ce qui reste à démontrer). En comptant 5 jours par semaine, sur 47 semaines, 8 heures par jour, cela fait bien 20 jours. Une personne qui se lève aujourd’hui à 6H00, prépare le petit déjeuner, lève les enfants, les prépare pour l’école et part de Castres à 7H45, sera au centre de Toulouse à 9H00 pour commencer sa journée de travail. Demain grâce à l’autoroute, elle partira à la même heure, toujours aussi fatiguée, mais arrivera à 8H40. Son patron l’accueillera avec un café, et une augmentation, n’en doutons pas. Et le soir cette même personne quittera son travail vingt minutes plus tard, et rentrera à Castres à la même heure qu’avant l’autoroute. Un vrai progrès social ! Reste une question cruciale pour augmenter la productivité du salarié : comment rentabiliser l’heure passée à conduire ? Ah, s’il y avait une gare à Castres … On pourrait se déplacer l’esprit libre, réfléchir à la réunion qui vient, se détendre et lire, discuter, écouter de la musique pendant le trajet. Plus détendu au travail, et plus détendu à la maison, car la conduite, c’est aussi beaucoup de stress.
Qui veut lutter contre les carburants fossiles, en inventant des véhicules propres, qui ne rejetteraient plus de méchant gaz carbonique. On aura donc toujours besoin d’autoroute à l’avenir. Allez les scientifiques, au travail, assez de chimie polluante, de voiture sales, de nucléaire tout radioactif. Trouvez nous une énergie propre. Au fait, c’est quoi une énergie ?
Ne citons personne, pour ne pas blesser. Utiliser le chantage à la vie n’a jamais fait avancer quelque débat que ce soit.
« Si t’as pas ta Rolex à 50 ans t’as raté ta vie »... Vous ne le saviez pas, mais le Brassaguais se demande comment récupérer ses enfants à l’école à 16H00, après avoir pris le lundi précédent l'avion pour Tokyo. Alors que sa femme souhaite aller rue Croix-Baragnon à Toulouse renouveler son sac Vuitton, et puis le petit veut un ordinateur avec une connexion performante... Qu'est-ce qui va lui permettre de résoudre tous ces problèmes? La réponse : l’Autoroute bien sûr!
Granitier, il nous explique qu’il a besoin d’une autoroute pour amener les camions à Toulouse, poser le granit sur un train, pour l’envoyer dans le Nord. Écoute attentive de la salle, et une question vient, avec beaucoup de respect, sans que le médiateur intervienne « et pourquoi pas mettre le granit dans des trains à Castres ? ». « Si c’était possible à partir de Castres, oui bien sûr ». Si c’était possible… Et si nous rêvions un peu à d’autres possibles, sont-ils si irréalisables que cela, si inaccessibles ? Avec très peu de mots, de la sincérité, de la simplicité et de l’émotion, vous avez fait passer tout le besoin de solutions alternatives, possibles, tout ce que pourrait être une réponse à l’enclavement privilégiant les transports en commun : on vous aurait embrassé!
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