Castres sans autoroute

c'est possible

collectif Autreroute


Événement : table ronde à Caraman le 23/10/09

Une réunion s’est rajoutée parmi les 10 débats publics prévus : une table ronde avec 4 experts dans l’idée d’obtenir un retour d’expérience d’autres projets autoroutiers (A66 Toulouse-Pamiers, A 19 Courtenay-Artenay, et A 20 Cahors-Toulouse). C’était l’occasion rêvée de poser des questions relatives à l’agriculture, à l’environnement, à l’emploi, au mitage du territoire, aux différents types de développement d’un territoire, autant de points que le débat autour du projet d’autoroute invite à mettre en avant. Les questions furent nombreuses, argumentées, moins solennelles dans leur forme que lors des réunions publiques, l’échange plus direct, et les réponses plus rapides. Au fait, où étaient les partisans de l’autoroute lundi soir, parce qu’aucun d’eux, par ailleurs si prompt à hurler le caractère vital de l’autoroute, n’était présent pour parler concrètement de l’emploi, de l’aménagement du territoire, de la perte de terres agricoles. Problème de montre, GPS défaillant, ou manque d’arguments ? Il y a des absences qui sont très voyantes.


Aspect agricole


MM Bou et Jacquot de la SAFALT (Société d’Aménagement Foncier Aveyron Lot Tarn)

La question du remembrement (il ne faut plus dire comme ça) a été abordée. Les problèmes posés par le passage d’une autoroute peuvent se régler de deux manières : en réagençant une propriété avec des terres voisines, ou en déplaçant totalement une exploitation (cas où l’autoroute traverse l’exploitation). Il est tenu compte de la valeur différente des terres en fonction de leur qualité. Pour les agriculteurs, cela ne semble donc pas dramatique, mais il est quand même signalé qu’une perte de 350 ha interviendra quoiqu’il arrive, à cause du bitume. Problèmes soulevés par la salle : il n’y a pas de terres disponibles dans la région, et les jeunes agriculteurs peinent à s’installer. De plus ne favorise-t-on pas les grandes exploitations et un modèle productiviste qui montre aujourd’hui ses limites ? Qu’en est-il des haies et bosquets qui disparaissent ? Réponse : le Grenelle propose un nouveau type d’aménagement qui respecte ces éléments.

La perte de terres due à l’urbanisation induite autour de l’autoroute n’est pas comptabilisée, mais elle est indéniable, et non mesurée à ce stade du projet. L’étalement urbain dépend ensuite de la volonté des élus locaux. Un chiffre : le Tarn perd 4 ha de terre cultivable par jour du fait de l’urbanisation, perte qui est difficilement réversible.

Autoroute et environnement.


Madame la Présidente prend quelques précautions oratoires pour nous présenter l’expert en écologie, M Bouron, représentant de la société Arcour, groupe Vinci, concessionnaire de l’A19. Cela paraît en effet étonnant mais il est intéressant de savoir, dit-elle, comment un concessionnaire s’y prend pour répondre aux contraintes imposées par la loi en matière d’écologie. On va effectivement savoir, et adorer l’exposé.

L’A19 … ?, mais si, vous connaissez, fidèles lecteurs du site autreroute, car vous avez lu que c’est la fameuse « ecoautoroute », « l’autoroute la plus chère de France » inaugurée en juin 2009, et qui doit être notre référence pour savoir ce qui nous attend si le projet d’autoroute Castres Toulouse est lancé.

L'intervention de M. Bouron commence bien : « on a développé un concept » qui mélange environnement, sécurité et convivialité. Le projet s’est nourri de la concertation avec les associations, pour respecter la faune et la flore. Les eaux de ruissellement sont récupérées, pour être traitées en vue d’une réinjection dans les cours d’eau, ou dans les nappes phréatiques. Il faut en plus vérifier que l’ouvrage n’a pas d’impact sur les écosystèmes. Il y a des écoconstructions sur les aires d’autoroutes, qui sont égayées par des végétations qu’on a rajoutées en plus du cahier des charges (traduction : c’est cadeau), des panneaux qui parlent du patrimoine, la sécurité qui est renforcée, le 1% paysage et développement qui permet un système vertueux. Et l’inauguration, ce fut un moment de convivialité, où l’autoroute a été ouverte, le temps d’un week-end, aux transports doux, les gens étaient contents, il fallait qu’ils repartent en comprenant que l’autoroute était un bienfait pour eux. De belles photos avec des enfants sur leurs petits vélos tout mignons. Les retombées presse furent au nombre de 250, et le terme d’éco-autoroute est très bien passé dans les média. Un nuage rose de bonheur était en train de se développer dans la salle, quand un méchant écologiste aigri a relevé les termes « concept », « publicité », « retombée presse », et de dire qu’une autoroute ne serait jamais un projet écologique, que le procédé utilisé, qui consiste à rendre écologique ce qui ne peut pas l’être, s’appelle le « green washing », le lavage en vert. L’esprit du Grenelle bannit toute nouvelle construction d’autoroute, et la loi ne la propose que quand toutes les autres solutions ont été explorées. Un maçon relève qu’il y a 5 ans, le préfixe « éco » était une injure, et qu’aujourd’hui il est mis à toutes les sauces. Il en profite pour nous dire qu’avant il faisait du béton, et que maintenant il faut des maisons renouvelables (c’est possible ça ?!). Une personne demande s’il y a un suivi des impacts. La réponse est oui, pendant 65 ans. Les chauve-souris vont être comptées après un an, puis 5 ans etc... Et on peut raisonnablement supposer que si leur nombre diminue, on enlève l’autoroute?

Aménagement du territoire.


M Lecorre , géographe, universitaire.

Les questions de l’emploi, de l’étalement urbain, du type d’économie ont été abordées. Et les réponses à ces questions sont très nuancées : il faut toujours replacer l’impact d’une autoroute dans un contexte global.

Étudions le cas de Nailloux, sur l’A66. La population est passée de 1500 à 3000 habitants, suite à l’ouverture de l’autoroute. Cela traduit un choix de vie à la campagne, qui est légitime, et qui s’accompagne d’un doublement de la surface urbanisée, par du logement pavillonnaire individuel, et du petit logement collectif. Cela a un « coût sociétal » car il faut augmenter l’offre de service pour des néorésidents qui sont souvent de jeunes actifs : loisirs, écoles, médecin, voiries etc… Cela génère de plus de la spéculation foncière, car les acteurs privés anticipent beaucoup plus que les élus locaux, notamment pour les communes qui ne sont pas directement à côté d’un échangeur : elles ne prévoient pas forcément l’arrivée de nouveaux résidents qui se fait alors de façon anarchique. Il est clairement dit, et la DREAL le confirme, que ce sont les acteurs locaux qui sont les garants de l’aménagement du territoire, et donc qui ont la maîtrise du mitage. L’arrivée d’une autoroute crée aussi une nouvelle concurrence entre les territoires, comme c’est le cas pour l’installation d’un village des marques : quelle commune voisine de l’autoroute va bénéficier de son implantation ? Au détriment de quelle autre ? En concurrence de quelle structure déjà existante ?

L’emploi à Montauban, suite au passage de l’autoroute, est abordé à l’aide d’une carte : des cercles rouges traduisent les créations d’emploi (proportionnellement à leur taille), et des cercles bleus, les disparitions. On peut observer de gros cercles rouges autour des échangeurs autoroutiers, et une multitude de petits cercles bleus repartis sur le territoire. Interprétation : l’activité s’est déplacée, et la balance est légèrement positive, « mais pas tant qu’on l’espérait ».

Le cas d’une déviation de contournement d’une ville, ou d'un village est évoqué. Le gain légitime de tranquillité obtenu par l’arrêt du passage des véhicules, est mis en balance avec la perte de certaines activités économiques liées au passage (bars, restaurants, hôtel, station essence).

En conclusion, on peut dire que depuis toujours une autoroute est supposée créer de l’activité de façon mécanique, mais on peut regarder les choses autrement : on perd un effet de constance dans l’aménagement du territoire, au profit d’une sensation d’accumulation.

Y a-t-il un risque que la population ne s’installe pas à Castres, mais plus près de Toulouse ? « C’est un scénario possible, mais il y a assez d’outils pour essayer de monter quelque chose de cohérent autour de l’autoroute ». Il est dit aussi « qu’on ne peut pas transposer automatiquement une situation sur une autre ». Dernière question, fondamentale : « cette autoroute entre Castres et Toulouse, on nous l’a vendue comme l’unique solution au désenclavement, est-ce vrai ? ». « Je ne peux pas répondre à cette question » nous dit M. Lecorre. Mais M. Grammont, lui, peut répondre : « il n’est nullement écrit cela dans le dossier, on peut lire que c’est un outil qui permet le développement, en fonction des acteurs locaux, et nous considérons que la dynamique locale installée permettra de tirer partie de cet outil. » La DREAL admet donc deux choses. D'abord, qu’elle présuppose une « dynamique locale », qui lui permet de  considérer comme valable le projet. Ensuite, que son dossier est constitué sur ce présupposé. Mais comment comprendre alors que les élus locaux et les responsables économiques du bassin Castres-Mazamet semble précisément conditionner cette dynamique à la construction de l'autoroute?

Financement.


C’est M Bouron qui reprend la parole pour nous expliquer le financement de l’A19. 600 M€ de dettes (emprunt), 125 M€ d’apport, et une subvention d’équilibre de 98 M€. Le péage est calculé à 12 cts €/km (la DREAL compte 9 cts/km). Comment sont fixés les montants du péage ? C’est une formule contractuelle, très compliquée, et on se contente de l’appliquer. Y a-t-il un bénéfice qui est prévu dans le plan de financement, en plus de l’amortissement ? « Je ne peux pas répondre à cette question ». On nous explique que l’État a transféré les risques sur le concessionnaire, et que pour lui c’est un pari sur l’avenir. D’ailleurs des surcoûts sont apparus, à cause de l’augmentation du prix du pétrole, de la construction d’une gendarmerie non-prévue, de l’aménagement d’un passage pour les animaux, soit 140 M€ en plus. Il est précisé que les aménagements environnementaux ont un surcoût, car abaisser une passerelle pour la rendre plus douce pour les animaux, entraîne des modifications de tracé sur 3 km avant et après la passerelle. Ce qui amène M Grammont de la DREAL à redire que le coût de l’éventuelle autoroute est calculé en se basant sur le coût de la déviation de Puylaurens. Qu’en est-il alors des surcoûts environnementaux, car à l’époque de cette déviation, on ne parlait pas autant d’écologie ? Pas de réponse.

Pour finir, il est dit qu’en termes d’aménagement, le réseau ferré peut concurrencer l’autoroute, et que l’autoroute peut aussi remédier à une carence. Se pose alors la question du l’utilité des déplacements. Ils augmentent de manière générale, mais on a observé une baisse cet été. Et à l’avenir ? On peut espérer que la fonction automobile devienne moins polluante. Pour ce qui est de construire encore des routes : « ce serait un grand pari de dire qu’il ne faut plus faire de nouvelles routes ».

Concernant le ferroutage, il est valable pour les itinéraires longs. Pour les transports de proximité, il faut un nouveau modèle économique, pour prévoir l’acheminement final, avec des opérateurs de proximité en lien avec le fer. Une étude exploratoire est d’ailleurs dans le dossier de la DREAL, avec un fret de l’ordre de 15 wagons/jour (p 60 du dossier)

Bilan.


Ce fut une très bonne soirée, un moment de démocratie participative. Les questions essentielles ont été posées, et on peut apercevoir la complexité de l’aménagement d’un territoire. Le débat devra s’orienter vers une réflexion globale sur l’aménagement du territoire, car la question de « l’accélération de la mise en concession 2x2 voies » paraît de plus en plus inadaptée aux enjeux qui engagent l’avenir de notre territoire.

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