Castres sans autoroute

c'est possible

collectif Autreroute


Le débat public à Castres (21/10/2009)

Pour tous ceux qui n'auraient pas pu assister au premier débat public sur le projet de mise en concession privée d'une autoroute entre Castres et Toulouse à l'horizon 2015, voici, en quelques points, une présentation des principaux enseignements de cette soirée, riche en rebondissements et en révélations :


1.    Le mythe de l'unanimité pour l'autoroute n'existe plus


C'est le premier apport, fondamental, du débat. On avait pourtant assisté à l'intensification de la campagne d'opinion en faveur de l'autoroute, lors des jours précédents sa tenue. Par voie de presse ou d'affiches, l'ensemble de la population était invitée à se rendre salle Gérard Philippe pour crier son attachement au projet. Mais, surprise, de nombreux habitants sont venus pour simplement s’informer ou dire leur opposition, en développant des arguments solides et rationnels, autour de son coût, de son impact écologique... Parmi ces opposants, on a pu noter les voix de Castrais : les adversaires du projet ne sont donc pas tous des habitants de la vallée du Girou, qui refuseraient de se montrer solidaires envers notre bassin.
   
L'argumentation a pris le pas sur l'émotion. L'effort d'explication et de persuasion a remplacé le cri stérile. L'individu rationnel a repris ses droits face à la foule. Le député UMP Bernard Carayon a bien souhaité réactiver ce mythe, en affirmant qu'il fallait laisser la réflexion et la décision aux experts, et nous contenter d'applaudir le projet. La réaction pour le moins courroucée d'une partie de la salle illustra bien le besoin de réflexion et d’analyse des partcicipants. Ne serait-ce que pour avoir permis de briser ce mythe du « tous pour l'autoroute », on ne peut que saluer l'organisation d'un tel débat public.

2.    Autoroute, deux fois deux voies gratuite, ou troisième voie?


    La Présidente de la Commission du Débat Public, Danielle Barrès, l'a rappelé dès l'introduction de sa présentation : toutes les solutions doivent être envisagées lors de ce débat. Autrement dit, il n’est nullement question de se limiter à la seule opposition « autoroute payante en 2015, autoroute gratuite pas avant 2025 ». L'aménagement raisonné et raisonnable de la route existante est donc, de fait, une alternative à prendre en compte. La DREAL et les partisans du projet, le président de la CCI en tête, souhaitaient à tout prix l'éviter. C'est raté. C'est le deuxième grand apport de cette soirée.

3.    La DREAL sérieusement en difficultés


Principale conceptrice du projet, la DREAL a été placée sous le feu des questions élaborées par les membres du collectif RN126 mais aussi des citoyens castrais, qui ont, dès qu'ils ont pu prendre la parole, démontré les incohérences et les orientations partiales (proche du mensonge) perceptibles dans la présentation du projet par la DREAL. M. Manon a ouvert le bal autour de la sous-estimation de son coût final. La DREAL s'est ensuite montrée incapable de justifier l'affirmation que l'autoroute apporterait au bassin Castres-Mazamet 15 000 habitants supplémentaires, et créerait 1400 emplois à l'horizon 2025 (« c'est juste une illustration » a-t-on pu entendre). C'est là un point très important : personne, pas même le concepteur du projet, n'est capable de dire à l'heure actuelle combien d'emplois il va apporter. Enfin, la DREAL a tenté, par la voie de son directeur, de témoigner de son ouverture d'esprit, de sa bonne foi, de la qualité des études menées... qui, bien entendu, vont toutes dans le sens de l'opportunité du projet d'autoroute concédée. Il a été particulièrement surprenant d’entendre les projections de ces experts sur les conséquences d’une augmentation des moyens concernant la liaison ferroviaire. A les écouter, même en investissant plusieurs centaines de millions d’euros dans l’aménagement des voies ferrées, le trafic n’augmentera pas suffisamment pour absorber le flux des déplacements ; ils semblaient désolés de nous l’apprendre. C’est pourtant une analyse, faite à coup de logiciels savamment paramétrés qui ne prend pas en compte l’effet qu’on constate à chaque fois qu’une liaison collective efficace est mise en place : les usagers répondent présents bien au delà des prévisions. C’est le facteur humain, difficile à intégrer dans les logiciels informatiques.

La stratégie des opposants, le collectif RN 126 et les autres, s'est révélée payante : le projet présente de très nombreuses failles, que les membres de la DREAL se sont révélés incapables de combler.

4.    Une « découverte » : le prix du péage


    Parmi ces failles, notons celle du coût annoncé du péage (14,50 euros pour un aller retour Castres-Toulouse). Il y a fort à parier que c'est autour de ce tarif prohibitif que le débat risque, dans un premier temps du moins, de se cristalliser. Tout le monde commence à comprendre que les employés, les chômeurs, les étudiants n'auront pas les moyens de prendre cette autoroute. On se révolte contre l'inégalité manifeste qui opposerait la liaison Castres-Toulouse avec l'autoroute (quasi) gratuite Albi-Toulouse. Le « rêve » d'autoroute a donc un prix, qui se révèle énorme : va-t-on continuer à rêver? Et les partisans du projet, élus en tête, vont-ils pouvoir continuer longtemps à entretenir ce rêve?

5.    L' « éco-autoroute » n'existe pas


    Parmi les opposants au projet, on a, enfin, pu entendre la voix de ceux qui s'appuient sur des préoccupations environnementales. Gérard Onesta a touché juste en avançant que le débat actuel pouvait avoir du sens il y a trente ans, mais qu'il n'en avait plus aujourd'hui. Alors que l'on vient de voter la loi Grenelle I, que l'on met en place la taxe carbone, que l'on sait que le prix des carburants va fortement augmenter dans les années à venir, que l'on perçoit qu'il va falloir développer les modes de transport collectif (train et bus pour les voyageurs, ferroutage pour les marchandises)... pourquoi irait-on construire maintenant une telle autoroute, qui apparaît comme un projet à contre-temps?

    Qu'on ne s'y trompe pas : c'est là le cœur du débat. C'est la question qui doit nous amener à penser quel développement nous souhaitons pour notre bassin, qui peut nous permettre de penser vraiment son désenclavement (on peut noter que pour l'heure, cette problématique est restée la grande absente du débat), c'est enfin la question qui nous amènera à regarder avec courage et confiance l'avenir, plutôt que de rester accroché à nos représentations ancrées dans un passé déjà largement révolu. L'avenir n'est plus au « tout-voiture ». Et ce n'est pas le mirage de l'autoroute « écologique », vaste supercherie aisément démontée, qui peut remettre en cause ce constat incontournable.

    Quels arguments pour les partisans de l'autoroute? Ou comment les tenants du projet pourraient devenir les porte-paroles de ses plus farouches adversaires.


Petites piques qui défoulent après des mois de lobbying intense des proautoroute !


    Lors du débat du mercredi 21 octobre, de nombreux avis ont été exprimés, de nombreux arguments ont été développés. Or, et cela pourrait être le thème d'une formidable fable, les auditeurs attentifs ont pu découvrir qu'une fois dépassé les incantations du « besoin d'autoroute », les partisans du projet ont développé des argumentaires que les opposants n'auraient sans doute pas renié... Petit florilège (un peu partial ?).


Numéro 1, toutes catégories : Michel Maurel, président de la CCI Castres-Mazamet, et accessoirement concessionnaire automobile : qui a commencé par avancer que « de toute façon, l'autoroute, il allait falloir la payer ». Jusque là, nous sommes d'accord. C'est après que cela se corse, quand il affirme : « si elle est gratuite, c'est le contribuable qui paie. Et si elle est payante, c'est l'usager. Mais le contribuable est aussi un usager, et inversement. Donc, dans tous les cas, on va payer ». Derrière l'apparent bon sens de cet « argument », on ne peut que rappeler à M. Maurel que le contribuable paie, certes, mais dans le cadre d'une solidarité départementale, régionale et nationale qui disparaît en partie dans le cadre d'une mise en concession privée. En partie seulement, car le concessionnaire recevrait une « subvention d'équilibre » estimée par le collectif RN 126 à 240 millions d'euros. Donc, par la qualité de son raisonnement, M. Maurel nous démontre de manière convaincante que si l'autoroute est concédée à une société privée, on la paiera plusieurs fois, puisque seuls les habitants du bassin seront à la fois « contribuables et usagers ». Merci beaucoup, M. Maurel, d'avoir insisté sur cette injustice et cette inégalité flagrante.


Numéro 2, Pascal Bugis, maire de Castres : On note avec bonheur qu'il a développé à peu près le même argument que le président de la CCI, ajoutant qu'il était pour sa part pour un péage au tarif « raisonnable ». On attend avec impatience qu'il nous annonce à quelle hauteur il fixe le « raisonnable ». On attend aussi qu'il nous explique comment il compte imposer à une société privée la baisse du péage, lui qui se targue si souvent de n'être qu'un petit maire d'une sous-préfecture, sans influence sur les décisions de ce type d'entreprises. On attend, enfin, qu'il nous explique comment il pourrait rester partisan du projet si le tarif du péage n'était pas revu à la baisse...


Numéro 3, Francis Escande, président de l'union locale UFC-Que Choisir? : qui nous a, le plus sérieusement du monde, expliqué que dans cette histoire d'autoroute, l'urgence résidait dans la sécurisation de la route. Et qu'il fallait donc construire d'abord l'équipement, que le temps des discussions sur son coût viendrait après. On croit rêver, mais non : un défenseur des consommateurs a, devant mille personnes, affirmé que les questions de prix n'avaient pas, en l'espèce, lieu d'être, et qu'on verrait après coup si les usagers allaient être en droit de se plaindre. Si on applique la « doctrine Escande » à l'ensemble des consommateurs, on peut donc en déduire qu'au restaurant, il est normal d'être servi avant de découvrir le prix du menu, que les marchands de vêtements ou de chaussures ne sont pas tenus de nous tenir informés du prix de leurs produits, que les opérateurs téléphoniques doivent être libres d'établir après-coup le tarif de leurs abonnements... Que le président de l’union locale UFC-Que Choisir tiennent de tels propos, en total désaccord avec les combats de cette association, illustre bien que ce projet d’autoroute fait tourner les têtes les mieux faites, et qu’il est grand temps de remettre la raison aux commandes.


Numéro 4, l'idole de Pierre Fabre dont on n'a pas retenu le nom : qui, les larmes aux yeux, nous a rappelé tout le bien que l’entrepreneur Pierre Fabre avait fait pour notre bassin. « Oui, notre monsieur, oui notre bon maître » chantait Brel à propos de Jaurès, un autre illustre Castrais... A écouter ce syndicaliste répéter comme un mantra la phrase de Sœur Emmanuelle « qu'as-tu fait pour les autres aujourd'hui? », on se sentait gênés d’avoir une pensée pour les salariés de Molex, si proches d’une autoroute, et aussi si proches du licenciement. L’entreprise Fabre aura-t-elle la capacité de résister aux sirènes de la délocalisation ? Une autoroute a-t-elle une influence là-dessus ? N’est-ce pas un odieux chantage, qui en plus n’est jamais exprimé par des mots simples ?


Enfin, hors catégorie : Bernard Carayon, quand il avance qu'il faut laisser « les cordonniers s'occuper des chaussures », autrement dit, laisser les experts de la DREAL décider seuls du bien-fondé du projet. On lui répliquera que le proverbe dit pourtant que « ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés »... Plus sérieusement, c’est la question de quelle démocratie nous souhaitons faire vivre qui s’offre à nous. Les experts ne sont pas les décideurs. Leur diagnostic nous est précieux, pour que nos politiques, et nous-mêmes, citoyens-experts, prenions nos responsabilités de façon éclairée.


On attend avec impatience et gourmandise la suite des débats publics.

Le monde change. Soyons acteurs de notre époque